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fallut chercher en dehors d’eux, et on chercha d’abord dans la communauté. Or, parmi les jeunes moines qui en faisaient partie, un surtout semblait réunir en sa personne toutes les qualités appropriées à ces difficiles fonctions : c’était Paulinien, le digne frère de Jérôme par la science autant que par l’élévation du caractère, le désintéressement et la charité.

Quoique Paulinien n’eût encore que vingt-huit ans, âge que les gens rigides trouvaient alors insuffisant pour une ordination canonique, tout le monde le jugeait digne du sacerdoce. Les monastères le souhaitaient pour eux, et Jean lui-même, à une époque où il vivait en bonne intelligence avec les moines, l’avait menacé plus d’une fois de l’ordonner malgré lui et de l’attacher à son clergé. Paulinien avait toujours refusé et refusait encore, repoussant avec opiniâtreté jusqu’aux sollicitations de son frère. Épiphane, qui déplorait presque comme son ouvrage l’état d’abandon où la tyrannie de Jean mettait ses malheureux amis, prit pour les en tirer un parti violent, mais que justifiaient les mœurs de l’église primitive. Un jour que Paulinien s’était rendu avec quelques diacres à Vieil-Ad pour le consulter sur des affaires concernant le couvent de Bethléem, Épiphane, qui célébrait le saint sacrifice dans l’église d’un village voisin, l’y fit venir, et enjoignit à ses diacres de l’enlever de force pendant qu’il priait. Les diacres se jettent sur lui à un signe convenu, et l’emportent en lui fermant la bouche, de peur qu’il ne conjurât l’évêque, au nom de Jésus-Christ, de ne lui point faire cette violence, ce qui eût pu désarmer Épiphane. Ainsi saisi et bâillonné, il est traîné au pied de l’autel. Épiphane en descend les degrés, s’approche de lui, lui coupe les cheveux, tandis qu’on le tient, l’ordonne diacre, et l’oblige, par la crainte de Dieu et l’autorité des Écritures, à servir en cette qualité la messe qu’il célébrait. Paulinien eut beau protester aux oreilles de l’évêque, qui ne l’écoutait pas : la majesté des fonctions qu’il remplissait bon gré, mal gré, le retint dans l’obéissance. A un nouveau signe de l’évêque, il est saisi une seconde fois, on étouffe sa voix, on le fait agenouiller, et quand il se releva, il était prêtre.

Cette nouvelle, arrivée à Bethléem par un courrier, fut accueillie dans les monastères avec des transports de joie ; mais on ne l’apprit à Jérusalem qu’avec des accès de fureur. On s’attendait cependant à quelque chose de pareil, car le but évident des ennemis de Jérôme était de pousser à un éclat qui pût le compromettre gravement et l’évêque de Salamine avec lui. Rufin, puissant machinateur de ruses, l’avait laissé deviner. Causant un jour d’Épiphane et des affaires de Bethléem avec un prêtre nommé Zenon, ami du supérieur de Vieil-Ad, il lui disait avec une curiosité inquiète :