Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enveloppée dans la légende. « Elle marche, l’âme de John Brown (his soul is marching on ! » dit le refrain de la plus belle chanson que la muse de la guerre ait trouvée, chanson qu’on entend presque partout où l’on rencontre un groupe de soldats de l’Union ; elle marche ! mais c’est aux solitudes du Kansas qu’elle a d’abord vu la liberté aux prises avec la tyrannie et qu’elle s’est préparée à la lutte suprême. De l’état du Kansas sont partis depuis le commencement de la guerre 30,000 volontaires ; 10,000 fermiers, organisés en milices et habitués à manier les armes, attendaient l’armée de Price, bien déterminés à défendre leurs champs et leurs foyers. Avec 1,000 soldats fédéraux, commandés par Curtis et en garnison au fort Leavenworth, le Kansas n’avait pas d’autres défenseurs au moment où je descendais le Mississipi.

La fidélité ardente et exaltée de cet état à la cause de l’Union ne s’inspire point de motifs vulgaires, car l’intérêt le relie à peine aujourd’hui aux provinces de l’Atlantique ou même à celles de l’ouest. Placé sur la rive droite du Mississipi, le Kansas est déjà, qu’on me permette le mot, sur le versant du Pacifique, bien que les Montagnes-Rocheuses élèvent leur muraille entre son territoire et la rive californienne. Ses communications principales sont ouvertes avec les régions que traversent les grandes chaînes de l’intérieur : pourquoi enverrait-il ses blés dans l’Illinois, qui en regorge ? Placé aux confins des pays cultivés, il expédie ses céréales dans le district de Colorado, à Santa-Fé, aux mines argentifères de Virginia-City, dans le district de Nevada, aux mines d’or d’Idaho. Son commerce est un commerce de caravanes : bestiaux, farines, lavoirs pour les sables aurifères, tout part maintenant du Kansas ou du pays des mormons pour arriver à ces oasis métallurgiques longtemps ignorées, et où la fièvre des mines a pourtant attiré une population très nombreuse.

Le second jour, le bateau à vapeur s’amarra encore le soir sur la rive missourienne, à une petite distance de l’embouchure de la rivière Illinois. Le lendemain matin, nous arrivâmes en vue d’Alton ; le promontoire rocheux sur lequel est bâtie cette ville est dominé par un vaste pénitencier qui servait de prison pour les soldats confédérés. Les baïonnettes des sentinelles étincelaient aux rayons du soleil matinal, et des soldats désœuvrés se promenaient sur le quai de débarquement. Peu de temps avant notre arrivée à Alton, un jeune homme qui m’avait vu dessiner sur le pont vint me demander en rougissant si je ne consentirais point à lui faire un croquis de la prison d’Alton. Malgré sa barbe rousse inculte, ses yeux brillans et ses cheveux en désordre, il avait un air si naïf et si candide que je cédai à son désir. Je lui demandai cependant pourquoi il avait