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avait envahi la province. Ce cousin, du nom de Price aussi, était en 1860 resté fidèle à l’Union, et M. Lincoln, pour l’en récompenser en même temps que pour donner un témoignage de ses dispositions conciliatrices, l’avait nommé d’emblée brigadier-général dans l’armée des volontaires. Cela n’empêchait point, au mois d’octobre 1864, le brigadier Price de soutenir la candidature de Mac-Clellan, et dans une assemblée populaire il osait déclarer que, si M. Lincoln était réélu, le Missouri aurait à examiner s’il ne serait pas conforme à ses intérêts d’unir sa destinée à celle des états de la nouvelle confédération. D’autre part, les républicains se croyaient abandonnés, presque trahis par le gouvernement ; ils reprochaient à M. Lincoln les moindres complaisances pour les démocrates ; ils avaient obtenu dans une convention l’abolition graduelle de l’esclavage, mais ils redoutaient que la mesure émancipatrice ne restât une lettre morte, si leurs ennemis parvenaient à reprendre l’influence. Partout les unionistes étaient exposés aux plus grands dangers ; l’inertie du commandant militaire de la province avait pour la seconde fois livré l’état à des bandes de pillards et d’assassins. Des deux côtés on se plaignait de la conscription. Le Missouri avait déjà donné trente mille soldats à l’armée du nord, près de quarante-cinq mille avaient suivi le drapeau du sud, et l’on demandait encore à l’état un contingent fixé d’après le chiffre de la population en 1860.

Ma visite la plus intéressante à Saint-Louis fut celle du camp Jefferson, situé à petite distance de la ville. Je m’y rendis par le chemin de fer américain, et aperçus en passant l’un des onze forts, aujourd’hui abandonnés, que le général Fremont fit élever quand il commandait à Saint-Louis, plutôt pour tenir la ville en respect que pour la protéger. Les maisons de bois du camp s’allongent autour de grandes places d’armes, à côté d’un parc autrefois affecté à des expositions agricoles. Parmi les beaux chênes noirs au tronc droit, aux branches anguleuses, s’élèvent quelques bâtimens légers qui ont tous été convertis en hôpitaux ; on a construit en outre beaucoup de maisons de bois pour loger les soldats malades, les familles noires et les réfugiés du sud. L’hôpital de ces derniers, où j’entrai d’abord, offrait un spectacle lamentable : partout des femmes, des enfans émaciés par les longues marches, la fatigue, la faim et la maladie. On me fit voir une pauvre vieille femme qui était venue seule sur un petit cheval depuis le Texas jusqu’à Saint-Louis. Pendant que je passais tristement entre les rangées de lits, un vieillard s’agitait dans les lentes convulsions de l’agonie en soulevant des bras amaigris qui déjà ressemblaient à des ossemens. Une odeur fétide de cuisine et de pharmacie alourdissait l’atmosphère