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démence. C’est là certainement une classification assez artificielle ; mais, comme les précédentes, elle est empruntée à la psychologie. On voit par ces exemples quel faible rôle jouent les lésions organiques dans la théorie et dans les classifications de la folie.

Quelques médecins spiritualistes, comme M. Dubois d’Amiens[1], quelques philosophes spiritualistes, tels que M. Albert Lemoine, ont soutenu l’hypothèse d’un siège organique de la folie en s’appuyant sur ce principe, que la folie est une maladie, et que l’âme ne peut pas être malade, Ce dernier surtout, dans son livre de l’Aliéné, a soutenu cette doctrine avec beaucoup d’habileté et de vigueur. Je ne sais si l’on peut dire que l’âme d’un fou est malade, mais à coup sûr elle ne me paraît pas bien portante. La folie est un désordre très positif de l’entendement, une perversion des affections morales. Appelez ce désordre comme il vous plaira, je l’appelle une maladie et si vous reconnaissez l’âme comme le principe qui pense et qui sent, je ne vois pas ce qui empêche de dire que l’âme est malade lorsqu’elle pense et sent d’une manière absurde. Que l’origine de la folie soit ou non dans les organes, toujours est-il qu’elle finit par pénétrer jusqu’à l’âme, car on ne peut nier qu’elle n’atteigne l’entendement et la sensibilité ; or ce sont là certainement des facultés de l’âme. Que la maladie soit consécutive ou qu’elle soit essentielle, comme disent les médecins, toujours est-il que l’âme en est affectée. Il n’est donc pas contraire à la nature des choses que l’âme soit malade, et ce principe ne peut nous servir à rien pour décider si la folie a son siège organique, oui ou non.

M. Albert Lemoine nous dit que, si l’on prend la folie pour une maladie de l’âme, on n’aura pas de critérium pour la distinguer des désordres moraux et intellectuels proprement dits. On la confondra avec le péché, comme le fait Heinroth, ou avec l’erreur, comme le fait Leuret ; mais je réponds que si l’âme est susceptible de deux sortes de désordres aussi différens l’un de l’autre que le péché et l’erreur, je ne vois pas pourquoi elle n’en admettrait pas un troisième, à savoir la folie. J’accorde qu’il n’est pas facile de définir et de distinguer la folie de ce qui l’avoisine ; cependant M. Lemoine sait très bien qu’il n’est pas aisé non plus de définir l’erreur et de la distinguer du péché, ou réciproquement, ce qui n’empêche pas que l’un et l’autre ne soient très distincts. Et puis enfin ; lors même que la folie serait une espèce d’erreur, quel mal voyez-vous à cela ?

Il y a, je l’avoue, dans le livre de M. Lemoine, d’autres argumens

  1. Voyez Dictionnaire des sciences philosophiques, article Folie.