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français ne se laissèrent prendre aux finesses du diplomate sourd qui, pour les besoins de sa cause, leur faisait ces tardives avances. Disons tout de suite, pour achever le récit de la comédie, qu’en écrivant à Pékin son rapport sur ces entrevues, le gouverneur-général, entre autres altérations sensibles de la vérité, déclara que le ministre anglais était venu lui rendre visite en son palais, alors qu’il avait très humblement sollicité la faveur d’être reçu par M. Bruce. Faut-il l’en blâmer ? S’il avait fait un rapport exact, s’il avait avoué qu’il était venu implorer le secours des étrangers, il eût été sévèrement censuré ; mais, d’un autre côté, quelle est la conséquence de ces mensonges continuels qui s’élèvent de mandarins à mandarins, de degrés en degrés, jusqu’au trône impérial ? C’est l’ignorance la plus complète de tout ce qui se passe, ce sont les plus étranges illusions suivies des déceptions les plus cruelles, c’est la plus triste des politiques. Ne nous lassons pas de signaler et de mettre en relief tous ces petits faits à mesure qu’ils se rencontrent à l’occasion d’événemens plus graves. Ils donnent la clé de bien des énigmes, ils nous font comprendre ce qui, à première vue, paraît inconcevable, et, par leurs détails ridicules, souvent même grotesques, ils révèlent les causes les plus sérieuses de la faiblesse d’un gouvernement auquel sont confiées les destinées de trois cents millions d’âmes.

Le gouverneur-général Ho n’avait pas besoin de faire tant d’efforts pour décider les ministres alliés à protéger Shang-haï contre l’invasion des rebelles. Il y avait là un intérêt d’humanité en même temps qu’un intérêt européen. M. le général Montauban, qui se trouvait alors à Shang-haï, était disposé à lancer une colonne de deux mille hommes pour balayer les bandes d’insurgés, dont le nombre lui paraissait tout à fait indifférent, et pour protéger la ville de Sou-tchou, qui renfermait, disait-on, plusieurs milliers de catholiques ; mais les ministres ne jugèrent pas qu’il fût utile de s’aventurer si avant dans une entreprise qui eût été considérée comme un acte d’intervention directe dans les affaires intérieures de la Chine, et qui eût risqué d’engager pendant un temps plus ou moins long une partie des forces militaires qu’il importait de conserver disponibles pour les opérations projetées contre Pékin. Ils pensèrent qu’il suffisait de garantir la sécurité de la ville de Shang-haï, qui, plus d’une fois déjà, dans des circonstances analogues, avait dû son salut au voisinage des établissemens européens. Il fut convenu qu’on s’en tiendrait là, et les mesures furent prises en conséquence. On se trouvait donc, comme le faisait observer M. le baron Gros, arrivé à Shang-haï au milieu de ces événemens, « dans la singulière position d’avoir à défendre l’empereur