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gleterre et la France proclamèrent en faveur des puissances neutres les principes libéraux adoptés par le congrès de Paris en 1856. Cette guerre, dont nous allons poursuivre le récit, était juste et méritait d’être glorieuse.


III

Trois cents navires européens étaient mouillés au mois de juillet à l’entrée du golfe du Pe-tchi-li, cent navires de guerre et deux cents navires de commerce. Cette immense escadre avait transporté de France, d’Angleterre et de l’Inde un corps d’armée de vingt mille hommes et tous les approvisionnemens. Si l’on réfléchit à la longueur du voyage, aux risques de la navigation, aux complications inséparables d’un tel mouvement de navires, on doit apprécier l’excellente organisation et le commandement habile qui assurèrent le succès de cette grande expédition militaire. Grâce aux progrès accomplis par la marine, progrès qui se sont principalement développés lors de la guerre de Grimée, il n’y a plus, à vrai dire, de campagne lointaine. Il semble que l’Europe a les bras plus longs que le monde : au premier signal, elle frappe ses coups rapides à l’extrémité du globe et jette ses armées sur tous les rivages. C’est à la marine qu’est due cette puissance nouvelle, qui rend praticables des entreprises devant lesquelles récemment encore les esprits les plus audacieux auraient reculé. La campagne de Chine a montré de la façon la plus éclatante non-seulement ce que la marine est en mesure de faire par elle-même, mais aussi ce qu’elle permet d’oser.

La conduite d’une expédition aussi complexe, poursuivie en commun par deux grandes nations et avec le concours de l’armée et de la marine, présentait des difficultés particulières. Il existait nécessairement entre les commandans des forces alliées une légitime émulation, qui devait dans certains cas tourner à la susceptibilité. Des avis différens pouvaient se produire sur la marche des opérations, et il n’y avait point là d’autorité supérieure pour les juger et les concilier. Sans revendiquer le premier rôle, ce qui eût été contraire au principe d’égalité absolue établi par les conventions, chacun des commandans anglais et français avait toujours l’œil sur les actes de son allié pour n’être jamais devancé ni effacé, et pour conserver au drapeau qu’il avait l’honneur de porter la place qui lui était due. Il fallait à chaque mouvement s’ingénier en combinaisons afin que Français et Anglais partissent le même jour, arrivassent le même jour et fussent en tout temps, en tout lieu, sur le même plan. Cette préoccupation incessante de l’alignement pou-