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toire ? Le mal existe, c’est constant ; il va même s’aggravant depuis plusieurs années, c’est vous qui le confessez, et l’on n’a nul motif de vous contredire ; mais d’où vient cette corruption des mœurs dont vous vous affligez, et comment y porter remède ? Ceci n’est point affaire de législation : on ne réglemente point les désordres moraux ; il n’y a point aujourd’hui d’esprits assez rétrogrades pour songer à prévenir ou à réprimer les effets d’un luxe corrupteur par des lois somptuaires. Faut-il donc se contenter de gémir et de grommeler comme des vieillards impuissans, et n’est-il pas possible, en comparant les effets aux causes, de tirer de ces révélations affligeantes un enseignement pratique ? Le luxe excessif allié de si près à la corruption des mœurs n’est point seulement un mal moral, il est aussi un mal économique. Le luxe est aussi sévèrement condamné par l’économie politique que par la morale. L’économie politique, en nous apprenant quelle est la fonction des capitaux dans le développement de la richesse, nous enseigne que le luxe appauvrit les nations comme les individus. Le luxe est en effet une destruction de capitaux. Le prodigue, pour satisfaire sa fantaisie ou sa passion personnelle, consomme improductivement, et par conséquent anéantit les capitaux qu’il dépense. Il diminue ainsi pour son plaisir propre le capital général, c’est-à-dire la réserve des produits au moyen desquels doivent s’accroître la force productive du travail et la richesse commune. S’il y a en économie politique une notion claire et certaine, c’est celle-là. Voilà la loi que la nature humaine, dans sa liberté, peut méconnaître, mais dont elle ne peut vaincre la force impérieuse. Il n’est pas douteux qu’un grand nombre d’hommes, en tous temps et en tous lieux, méconnaîtront cette loi. Les sermons sur le luxe ne convertiront pas plus aujourd’hui le spéculateur enrichi à la hâte, le fils de famille prodigue, l’homme qui trouve la fortune à l’improviste dans le succès d’une révolution politique, l’étranger opulent, avide d’épuiser toutes les jouissances qu’offre une métropole de plaisirs, qu’ils n’ont converti autrefois les fermiers-généraux de notre pays, les vieux nababs d’Angleterre, les favoris des despotes. Le shoddy américain de nos jours, enrichi d’hier par l’exploitation d’un puits de pétrole, semblable au nègre affranchi, qui regarde l’oisiveté comme le premier attribut de la liberté, prend le luxe pour l’expression la plus vraie de la richesse, et ira acheter un diamant de vingt mille dollars avant de songer à s’habiller comme les honnêtes gens. Vous n’extirperez donc pas la passion du luxe du cœur des individus, et vous ne supprimerez point par de simples prédications l’étalage cynique des vices qu’elle provoque et qui l’excitent elle-même. M. Dupin doit se résigner à voir toujours autant surchargées de parures que de péchés ces petites femmes que le vaillant saint Paul appelait mulierculas oneratas peccalis. Cependant l’émotion du sénat, le désir, les vœux vagues d’amélioration morale exprimés par cette auguste assemblée, répondaient à un intérêt réel. On ne peut espérer de purger la société de ses vices apparens et se-