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pédantisme grotesque des déclamations allemandes, éternel sujet de rire pour l’esprit net et précis des peuples Scandinaves. Une autre, la Chambre de l’accouchée, est la critique de l’usage absurde qui en Danemark force la femme en couches de subir de son lit le défilé interminable des visiteurs et des visiteuses qui viennent causer et bruire à son chevet.

Avec un peu plus d’exagération et une pointe sensible de trivialité toute danoise, Holberg a également pris à Molière son art de la perspective et du grossissement théâtral ; il lui a ravi le secret de ce dialogue fécond en surprises et en évolutions inattendues, cette symétrie, ce parallélisme de langage et d’argumens, au moyen desquels le poète français sait épuiser les situations comiques ou bien les rompre et les renverser brusquement. M. Legrelle, dont la plume, un peu dénuée de vivacité et d’entrain, trace cependant plus d’un aperçu ingénieux et fin, indique trois procédés qui ont été transportés par Holberg du théâtre de Molière sur la scène danoise : ce sont d’abord les querelles, puis les visites à domicile, qui répondent à ces rencontres des comédies antiques, dont l’action se passait généralement dans la rue ou sur la place publique, enfin les quiproquos, qui sont restés l’une des ressources principales de la comédie moderne. Le chapitre consacré par M. Legrelle à l’étude comparée des menus ressorts du style dans Holberg et. dans Molière est curieux, instructif, fort substantiel, et le livre tout entier, malgré les négligences de la forme, fait bien comprendre la nature du talent et des œuvres du poète danois.

Quelles que soient les traces d’imitation que révèlent les pièces d’Holberg, cet écrivain n’en a pas moins en propre une verve puissante et une originalité Scandinave incontestable. Holberg laisse percer, comme Molière, un fonds de misanthropie ; mais il raconte lui-même dans l’histoire de sa vie qu’il se guérissait de ses accès de colère contre le genre humain en avalant deux pilules : ce remède n’eût suffi, à coup sûr, ni à l’amant bourru de Célimène, ni à l’époux malheureux d’Armande Béjart. Ce qui distingue surtout Holberg de Molière, c’est qu’il n’a pas, comme le rénovateur de notre comédie, l’art de fouiller dans tous ses recoins le cœur de la femme. Il n’a pas non plus, comme celui-ci, cette fleur de distinction exquise et de délicatesse morale. On devinerait, rien qu’à lire ses pièces, qu’avant d’être un poète il avait été un savant. S’il a moins que l’auteur des Femmes savantes cette expérience que donne la vie, il a une plus grande érudition, et la philosophie acquise montre même parfois le bout de l’oreille dans ses comédies ; mais que de questions il a remuées ! Il n’a pas agi seulement sur le goût, il a exercé une grande influence sur les mœurs de son pays, en déracinant par le rire bien des préjugés et de sottes pratiques. Si l’éclat momentané que lui a dû le théâtre de Copenhague s’est vite éteint, le répertoire d’Holberg reste et fait de lui le représentant le plus illustre de la littérature dramatique danoise. Ses comédies ont noué une solidarité étroite entre l’esprit français et l’esprit danois, à tel point qu’aujourd’hui encore notre influence littéraire est toute vive en Danemark, non plus, il est vrai, par l’imitation de chefs-d’œuvre tels que ceux de Molière, mais par l’importation de l’amusant vaudeville moderne.


JULES GOURDAULT.


V. DE MARS.