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Mélanie, dont il s’est fait l’historien, disait au sujet de Paula : « Elle était née pour la vie sainte et spirituelle, si elle n’eût été retenue par la volonté jalouse de Jérôme, et on l’aurait peut-être vue s’élever au-dessus de son sexe, tant le ciel lui avait départi de belles et rares qualités ; mais il la comprimait par une domination tyrannique, la réduisant à n’avoir de pensée que la sienne, et de volonté que son caprice. » Palladius nous démasque ici l’artifice des affïdés de Rufin, soufflant le chaud et le froid, et rendant leurs caresses aussi venimeuses que leurs morsures.

Sur ces entrefaites, la santé de Paula s’altéra, et son mal, aggravé par les chaleurs d’un mois de juillet très ardent, la mit à deux doigts de la mort. Une fièvre opiniâtre la dévorait. Quand cette fièvre tomba et que la convalescence commença, les médecins ordonnèrent à la malade, qui ne buvait que de l’eau, de prendre un peu de vin pour se fortifier, craignant, disaient-ils, qu’elle ne devînt hydropique ; mais elle s’y refusa avec obstination. Épiphane se trouvait alors à Bethléem, appelé sans doute par les inquiétudes de son ami. Jérôme le pria de voir Paula en particulier, de l’exhorter à suivre la prescription des médecins, de l’y obliger même au besoin par l’autorité de son caractère et de son âge. Épiphane accepta la mission et la remplit du mieux qu’il put. Tandis qu’il parlait, assis au chevet de la malade, employant pour la convaincre tout ce qu’il possédait d’éloquence, celle-ci l’écoutait avec une attention ironique. « Je sais, lui dit-elle enfin en souriant malicieusement, je sais qui m’a valu cet excellent discours, » et, prenant sa revanche, elle se mit à haranguer l’évêque à son tour. Lorsqu’Épiphane sortit de la chambre, Jérôme, qui l’attendait au dehors, l’aborda avec anxiété : « Eh bien ! lui demanda-t-il, qu’as-tu fait ? — Ce que j’ai fait ? répondit le vieillard. J’ai si bien réussi qu’elle a presque persuadé à un homme de mon âge qu’il ne devait plus boire de vin ! »

Ils reçurent vers cette époque (394-396) deux visites qui firent une diversion heureuse à leurs travaux et à leurs soucis. La première était celle d’Alypius, l’ami de cœur d’Augustin et son futur collègue dans l’administration des églises d’Afrique. Alype fut un lien entre ces deux hommes célèbres, lien imparfait sans doute, car la différence des caractères et la divergence des vues en matière ecclésiastique ne permirent jamais qu’il s’établît entre Augustin et Jérôme une intimité confiante. La seconde visite fut celle de Fabiola, l’ancienne amie de Paula et de sa fille. Toujours livrée aux résolutions imprévues, l’héritière des Fabius prit terre à Joppé sans que personne l’y attendît, et elle était déjà aux portes de Jérusalem lorsqu’on apprit son débarquement. Un des plus chers amis de Jérôme, Oceanus, l’accompagnait. Jérusalem, cité curieuse