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le Périarchôn latin et sa préface se trouvèrent presque aussitôt dans toutes les mains. La surprise fut grande en voyant l’orthodoxie du livre le plus attaqué du docteur d’Alexandrie ; on s’étonna à bon droit des violences d’Épiphane, des contradictions de Jérôme et des anathèmes. tardifs de Théophile : Rufin du même coup frappait tous ses adversaires.

Une copie de ce Périarchôn latin, tombée en la possession d’un ami de Jérôme, qui ne l’eut qu’à prix d’argent et en la payant même fort cher, lui fut envoyée à Bethléem. Pour toute justification de sa conduite, pour toute démonstration de la fraude impudente de Rufin, il prit l’original, et, toute affaire cessante, il le traduisit mot pour mot, hérésie pour hérésie, blasphème pour blasphème, comme il disait, et la traduction, fidèle cette fois, partit pour l’Italie, accompagnée d’une lettre à Pammachius et à Marcella, où Jérôme repoussait avec indignation les éloges empoisonnés de Rufin. L’Origène qu’on vit apparaître alors était si différent de l’autre, que l’église romaine, tout en rendant grâces au traducteur, crut devoir en interdire la lecture ; mais déjà Rufin avait quitté Rome. Profitant de l’effet favorable produit au premier moment par sa traduction, qui lui servait de profession de foi pour lui-même, il avait obtenu du pape Siricius des lettres de communion avec lesquelles il s’était réfugié à Milan, pour observer de là la marche des événemens. Oceanus, rentré en Italie avec Fabiola, Paulinien, qui revenait de Dalmatie, où il avait vendu le dernier lambeau du patrimoine de sa famille, et le prêtre Vincentius, qui l’accompagnait, se joignirent, à Pammachius, à Marcella, à toutes les matrones de l’église domestique, pour engager le pape à rétracter le certificat d’orthodoxie que lui avait surpris Rufin, Siricius balançait, et il mourut sur ces entrefaites, au mois de novembre 398, laissant pour son successeur au trône pontifical Anastase, homme plus énergique, mieux au courant des questions doctrinales, et en relations plus particulières avec Marcella, dont il estimait le mérite et respectait le caractère. Il somma Rufin de se rendre à Rome pour y fournir des explications sur sa conduite et donner sans ambages son acte de foi catholique. Non-seulement Rufin s’y refusa, mais de Milan il se transporta dans Aquilée, dont l’évêque était son ami. Les choses en étaient là, quand une lettre du patriarche d’Alexandrie notifia au pape de Rome qu’un synode par lui convoqué venait de frapper d’anathème la mémoire d’Origène, ses livres, ses doctrines, et tous leurs fauteurs et adhérons. Anastase, piqué d’honneur, réunit aussi un synode à Rome, et l’origénisme fut anathématisé en Occident comme en Orient.

Il ne restait plus à Rufin vaincu que la dernière ressource des