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manquer eût paru un sacrilège. Les pauvres surtout et les veuves s’y trouvèrent en foule innombrable ; ils montraient les vêtemens qu’elle leur avait donnés ; ils l’appelaient leur mère et leur nourrice. Après trois jours d’une psalmodie continue en hébreu, en grec, en latin, en syriaque, on reprit le cercueil pour le descendre dans la crypte où se trouvait la crèche du Sauveur. Une place avait été creusée à quelque distance, dans le flanc du rocher : c’est là que fut introduit le cercueil, puis une dalle de pierre scellée au roc ferma provisoirement l’excavation. Pendant ces funèbres journées, Eustochium, toujours près de sa mère, ne l’avait pas plus quittée morte que vivante ; elle lui baisait les yeux, elle se collait à son visage, et quand il fallut mettre le cercueil en terre, elle se précipita dessus. violemment, l’enserrant de ses bras et demandant à être enterrée avec lui.

Jérôme était là, soutenu par un devoir plus grand que sa peine ; mais cette âme altière, faite pour la lutte, qui cherchait les douleurs afin de les surmonter, et regardait les épreuves comme des grâces, ne put supporter celle-ci quand le devoir eut cessé de parler. Sa pensée ne se détournait plus de la perte qu’il avait faite ; il était inconsolable comme Rachel, dont il avait poussé le cri dans le voisinage de Rama. Tous ses travaux restaient abandonnés, et dans l’intimité de ses relations il ne craignait pas de montrer la plaie saignante de son cœur. Il écrivait, quelques mois après, à Théophile d’Alexandrie, qui réclamait de lui un travail commencé : « Je n’ai rien pu faire, même sur les Écritures, depuis la mort de la sainte et vénérable Paula. Le chagrin m’accable. Tu sais qu’elle était ma consolation et celle des saints, qui trouvaient en elle une mère dévouée et vigilante. » Il dit encore dans un autre endroit qu’il resta longtemps dans le silence de l’accablement, « non pas certes qu’il doutât de la résurrection, dont l’espérance nous console, mais parce que dans la mort de Paula il entrevoyait celle de leurs monastères. » Enfin Eustochium essaya de le tirer de cet affaissement, et elle le fit en lui parlant de sa mère : elle le pria de composer son éloge funèbre, afin que cette sainte mémoire ne périt pas avec eux. Ce fut comme un trait de lumière pour Jérôme ; il tenta d’écrire, mais il le tenta vainement. Chaque fois qu’il saisissait ses tablettes pour travailler à cet éloge, ses doigts se raidissaient, et le style lui tombait des mains ; son esprit se trouvait sans force, ou la douleur le suffoquait. Il prit enfin le parti de dicter, et, par un effort surhumain, il rédigea en deux veilles de nuit le livre que nous avons encore, où il retrace toute la vie de Paula depuis son enfance jusqu’à ses derniers momens, livre qui m’a servi de guide dans ces récits. Il l’adressa sous forme de lettre à la vierge Eustochium.