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n’oubliait aucune partie de son tableau. Il y avait là un exemple pour M. Achille Millien.

Nous sommes ici en présence d’un premier groupe, celui des chanteurs qui cherchent encore leur voie, et dont nous ne faisons que consigner les promesses. Parmi ces nouveaux venus, un des plus dignes d’encouragement est M. André Lemoyne. Un premier recueil, couronné par l’Académie française, avait déjà, signalé chez lui un artiste sérieux ; les pages qu’il y ajoute aujourd’hui dans ses Roses d’Antan témoignent d’un sentiment élevé de la nature joint au scrupuleux respect de la composition et du style. Bien différent de ceux qui jettent leurs rimes au hasard ou de ceux qui s’amusent au cliquetis savant des mots comme des joueurs de castagnettes, M. André Lemoyne a toujours une pensée pour laquelle il choisit une image expressive ; cette image, il la dessine, il la met en relief, il en compose une médaille : telle est la belle pièce intitulée Une Larme de Dante. Ce poète trop discret n’est jamais mieux inspiré qu’en peignant la beauté morale. Voyez son idéal du genre humain, ou, comme il dit, son Ecce Homo :

On rencontre parfois des hommes dans la vie ;
J’en, ai vu quelques-uns dans notre âge de fer :
Pas une haine au cœur, pas une ombre d’envie,
Et le monde ignorait ce qu’ils avaient souffert.

Un front vieilli trop jeune et des lèvres plissées
N’avaient pas enlaidi d’un faux sourire amer
Leur visage éclairé par de belles pensées,
Pures comme le ciel, grandes comme la mer.

Ils ne ressemblaient pas à d’ennuyeux stoïques,
Traîneurs de robe longue à larges plis bouffans.
C’étaient des gens naïfs, simplement héroïques,
Que les femmes aimaient et qu’aimaient les enfans.

Ils étaient aussi doux qu’un verset d’évangile
Murmuré dans la nuit par un pauvre qui dort ;
Ils étaient aussi doux qu’un beau vers de Virgile ;
Ils parlaient aussi bien que saint Jean Bouche-d’Or.

Quand ils ouvraient leur main et leur âme loyale,
Leur front resplendissait d’une austère beauté.
Ils avaient dans la marche une aisance royale,
Souverains de la grâce et de la majesté…

Que manque-t-il à M. André Lemoyne ? Plus de souffle, plus de variété, peut-être aussi plus de confiance en lui-même. Le fond est riche, on le devine sans peine ; il faut maintenant que ce poète, enhardi par l’étude, ose chanter à pleine voix.

J’indiquais tout à l’heure certains arrangeurs de rhythmes, vrais joueurs, de castagnettes, dont le talent se dépense en puérilités la-