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qui dévore à belles dents le fruit de la joie, la mort qui fauche l’arbre à la racine et pousse des ricanemens hideux. Le poète, il est vrai, nous prévient au seuil de son cimetière :

Lecteur, ces petits vers ne sont pas tout eau rose :
Ils sentent quelque peu le moisi du cercueil.
Si l’abord vous effraie, arrêtez-vous au seuil.
Mettons qu’il vaut mieux rire, et parlons d’autre chose.

Et pourquoi donc ne pas parler de la mort, si vous en parlez en poète ? Il vous plaît, dites-vous, « d’agacer le vieux sphinx du néant ; » il vous plaît d’entrevoir l’éternelle vie à travers ce fantôme d’existence que l’homme traîne ici-bas. Prisonnier de la chair, esclave du tombeau, vous aimez à glisser la tête « par la lucarne » pour aspirer l’air incorruptible : excellente promesse, mais trop vite oubliée ! Cet air plus pur, ces régions sereines où refleurira la vie, je les cherche vainement en vos pages capricieuses. Ce que j’y trouve sans cesse au contraire, c’est l’amour ouvrier de la mort. On dirait que la vie humaine, aux yeux du poète, se réduit à cette formule ; dépenser sa force en gaîtés meurtrières. C’est l’amour qui scie les planches du chêne pour en faire un cercueil, c’est l’amour qui creuse la fosse, c’est l’amour qui jette la dernière pelletée sur la tombe : singulière façon de considérer le sentiment le plus fort et le plus viril, celui qui, réglé par une volonté pure, devient la source de tous les dévouemens ! Qu’est-ce que l’amour dans ce canzoniere ? un charmant assassin :

Pour chaque enfant qui naît ici-bas, Dieu fait naître
Un petit fossoyeur expert en son métier,
Qui creuse incessamment sous les pieds de son maître
La place où l’homme un jour s’abîme tout entier.

Connaissez-vous le vôtre ? Il est hideux peut-être,
Et vous tremblez de voir à l’œuvre l’ouvrier ;
Par un regard si doux le mien s’est fait connaître,
Qu’à sa merci mon cœur m’a livré sans quartier.

C’est un bel enfant rose et blanc, sa lèvre est douce ;
De caresse en caresse à ma fosse il me pousse ;
On ne saurait aimer d’assassin plus charmant !

Espiègle, as-tu fini ? . Dépêchons. L’heure approche.
Donne avec un baiser ton dernier coup de pioche,
Et dans ma tombe en fleurs pose-moi doucement !


Vers charmans, poésie malsaine : le poète se calomnie quand il parle de la sorte, ou plutôt il ressemble à ce sonneur étourdi dont il a placé l’image au milieu de ses figurines. Placé en haut de la tour et distrait par les spectacles changeans de la voûte céleste ; le sonneur s’embrouille en tirant ses cloches. L’une est pour la joie,