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leurs, où Corneille lui-même vient l’encourager et le soutenir : non pas certes que nous voulions détourner le poète de ses luttes généreuses contre les mauvais instincts de nos jours. Réconcilié avec son siècle, il peut retourner sur les Alpes et s’écrier :

Ma muse a pris chez vous sa parure et ses armes ;
Des vivantes couleurs vous m’ouvrez le trésor.
Là j’ai trouvé peut-être, au lieu de vaines larmes,
Un vers âpre et nerveux vêtu de fer et d’or.

Sans doute aux jours d’enfance où l’on gémit sans causes,
J’aimai trop vos déserts de l’amour d’un banni ;
J’ai trop oublié l’âme en embrassant les choses,
J’ai trop méprisé, l’homme au nom de l’infini.

Mais la vie a pour moi peuplé vos solitudes…

Qu’il cesse donc de mépriser l’homme, qu’il ne prodigue plus ces mots de vils passans, de viles multitudes ; qu’il n’oppose pas toujours les grands morts du passé au vil troupeau des vivans. Pour moi, ne le croyant pas encore assez guéri de ses dispositions amères, je lui souhaite le pèlerinage de la Silva nova plutôt que celui des Alpes. En voyant ce renouvellement perpétuel de la vie, en voyant Dieu revenu dans les lieux maudits par le poète, il acquerra, j’en suis sûr, les forces qui lui manquent encore et dont l’absence paralyse son talent, une juste sympathie pour notre siècle, une libérale confiance dans l’avenir de l’humanité.

Un poète qui aime son siècle, alors même qu’il le châtie, c’est M. Auguste Barbier. Ses débuts, on le sait, remontent à trente-cinq ans, et depuis les Iambes jusqu’aux Satires publiées hier, sa pensée honnête et cordiale a suivi le même chemin. Certes l’élan poétique ne s’est pas toujours soutenu chez l’auteur de la Curée et de l’Idole ; comment s’élever encore, comment se maintenir seulement au rang des premiers jours, quand on a eu la gloire et le malheur de débuter par du Michel-Ange ? Sous le coup des émotions de 1830, le jeune poète, d’un seul et unique jet, s’était presque donné tout entier. J’admire qu’après les clameurs des Iambes il ait produit encore ces larges tableaux de l’Italie intitulés Il Pianto et cette peinture de l’Angleterre inscrite sous le nom de Lazare. Quelle puissance ! quelle variété d’images ! quel sentiment de l’humanité ! Les générations nouvelles, étonnées de ne pas voir se renouveler ces grandes choses, ont été souvent bien ingrates pour l’artiste à qui nous les devons. On a parlé de glorieux hasards ; singuliers hasards, en vérité, qui se sont diversifiés, tant de fois ! hasards bien complaisans, qui, après avoir produit la Curée, l’Idole, la Popularité, Melpomène, Quatre-vingt-treize, l’Amour de la