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téger aussi contre le lecteur mal préparé. Certes, si on vient de lire quelque ouvrage sorti de l’école de M. de Lamartine ou de M. Hugo, si on vient de relire les Iambes, et que tout à coup, sans préparation, sans commentaire, on ouvre les Satires de M. Barbier, la première impression sera fâcheuse. Où est ce jet de poésie retrouvé il y a quarante ans ? où est ce lyrique essor qui avait renouvelé jusqu’à la forme de la vieille satire ? « Vous n’avez pas oublié, monsieur, le cri d’étonnement qui accueillit les premiers vers de Barbier, écrivait Gustave Planche à Victor Hugo dans une lettre célèbre. Jamais, vous le savez, le symbolisme n’avait été si hardiment réalisé. Une fois maître d’une image harmonieusement unie à sa pensée, il la mène à bout, il la déploie et la drape, il promène le regard parmi les plis ondoyans et lumineux, il ne laisse ignorer aucune des richesses du vêtement qu’il a choisi. Une image unique lui suffit parce qu’il en devine toutes les ressources et qu’il sait les appliquer toutes aux besoins du sentiment qui le domine. » Sans doute rien de pareil dans la nouvelle œuvre de M. Barbier, mais rappelez-vous que l’auteur, ayant épuisé les formes de la satire lyrique, essaie ici la satire à la Régnier. Ce n’est plus le poète confrontant la réalité hideuse avec son sublime idéal, c’est l’homme de bien, l’homme de sens tâchant de parler, comme nos pères, le franc langage gaulois. Les conditions du problème sont toutes changées.

Il y a des conditions pourtant, et la satire gauloise a ses exigences aussi bien que la satire lyrique. Le défaut des Satires de M. Barbier, c’est l’absence d’unité dans les pensées comme dans le style. Le sermo pedestris d’Horace ne doit pas être confondu avec la prose, surtout avec une prose qui ne redoute pas la langueur ou la trivialité. Rien de plus difficile que de faire marcher la Muse en ces sentiers épineux, elle y a trébuché plus d’une fois. M. Barbier, malgré sa rare sagacité d’artiste et son culte des anciens, ne s’est peut-être pas rendu compte de toutes les difficultés de sa tâche ; de là des disparates et des erreurs de goût. Ce n’est assurément ni la finesse ni la franchise qui lui manquent ; il a parfois des traits comiques excellens. Quand il bafoue les vanités provinciales, quand il persifle les départemens, les villes, les villages qui veulent absolument élever des statues à des gens qui se contenteraient d’un buste, il évoque à la fin Voltaire en personne, le précepteur des Welches,et lui prête ce discours sarcastique :

………. O Voltaire !
Si ton esprit encore habitait cette terre,
 Comme il rirait de voir le bon peuple gaulois
Jaloux de se pourtraire à l’exemple des rois !