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questions en controverse et dans les régions élevées, limites supérieures des sciences. Par là ils communiquent à la pensée scientifique un mouvement qui la vivifie et l’ennoblit ; ils fortifient l’esprit en le développant par une gymnastique intellectuelle générale en même temps qu’ils le reportent sans cesse vers les solutions inépuisable des grands problèmes ; ils entretiennent ainsi une sorte de soif de l’inconnu et le feu sacré de la recherche qui ne doivent jamais s’éteindre chez un savant

En effet, le désir ardent de la connaissance est l’unique mobile qui attire et soutient l’investigateur dans ses efforts, et c’est précisément cette connaissance, qu’il saisit et qui fuit toujours devant lui, qui devient à la fois son seul tourment et son seul bonheur. Celui qui ne connaît pas les tourmens de l’inconnu doit ignorer les joies de la découverte, qui sont certainement les plus vives que l’esprit de l’homme puisse jamais ressentir. Mais, par un caprice de notre nature, cette joie de la découverte tant cherchée et tant espérée s’évanouit dès qu’elle est trouvée. Ce n’est qu’un éclair dont la lueur nous a découvert d’autres horizons vers lesquels notre curiosité inassouvie se porte encore avec plus d’ardeur. C’est ce qui fait que, dans la science même, le connu perd son attrait, tandis que l’inconnu est toujours plein de charmes. C’est pour cela que les esprits qui s’élèvent et deviennent vraiment grands sont ceux qui ne sont jamais satisfaits d’eux-mêmes dans leurs œuvres accomplies, mais qui tendent toujours à mieux dans des œuvres nouvelles. Le sentiment dont je parle en ce moment est bien connu des savans et des philosophes. C’est ce sentiment qui a fait dire à Priestley[1] qu’une découverte que nous faisons nous en montre beaucoup d’autres à faire ; c’est ce sentiment qu’exprime Pascal[2], mais sous une forme peut-être paradoxale, quand il dit : « Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. » Pourtant c’est bien la vérité elle-même qui nous intéresse, et si nous la cherchons toujours, c’est parce que ce que nous en avons trouvé ne peut pas nous satisfaire. Sans cela, nous ferions dans nos recherches ce travail inutile et sans fin que nous représente la fable Sisyphe, qui roule toujours son rocher qui retombe sans cesse au point de départ. Cette comparaison n’est point exacte scientifiquement : le savant monte toujours en cherchant la vérité, et s’il ne la trouve jamais tout entière, il en découvre néanmoins des fragmens très importans, et ce sont précisément ces lambeaux de la vérité générale qui constituent la science.

  1. Priestley, Expériences et observations sur différentes espèces d’airs. T. Ier, préface, p. 15.
  2. Pensées morales détachées, art. ix-xxxiv.