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à se dévouer pour elle et à prodiguer son sang et son or pour conserver un trône à la dernière des Habsbourg ?

Le découragement s’empara de tout le monde autour de la reine, mais il s’arrêta là et jamais ne monta complètement jusqu’à elle. Il y avait tantôt deux mois et demi qu’on se disputait avec un acharnement toujours croissant, et penser que la ressource suprême eût été d’en appeler à l’insurrection universelle en Hongrie et d’armer tout le monde ! Se figure-t-on ce dernier remède dans un pareil moment, quand armer un Hongrois c’était armer un ennemi mortel de l’Autriche ! Marie-Thérèse, à son éternel honneur, ne se trompa ni ne recula, Le 11 septembre 1741, elle convoqua les membres des deux chambres (haute et basse) dans la grande salle du trône au château de Presbourg, et tenta une démarche dont la noblesse et le courage doivent lui assurer l’admiration de tous les siècles. Personne n’avait été de son avis, personne ne croyait au succès, pas plus Hongrois qu’Allemands. On la suivit sur le terrain, mais morne ou courroucé. Les conseillers allemands disaient qu’il valait autant se fier à Satan lui-même qu’aux Magyars. Ses amis hongrois n’étaient déterminés qu’à protéger la personne de la reine. Marie-Thérèse, vêtue d’habits de deuil et portant sur la tête la couronne sacrée de saint Etienne, reçut du haut du trône la foule de ses ennemis et de ceux qui lui prodiguaient des injures et des calomnies depuis tout le temps qu’elle vivait parmi eux. Les fidèles, tels que Palffy, Joseph Esterhazy, le primat, le chancelier Louis Batthyanyi, Grassalkovics et quelques autres l’entouraient, mais devant elle ses yeux ne rencontraient aucun regard ami.

Ses premières paroles étonnèrent toute l’assistance, et la hardiesse avec laquelle elle osa dire toute la vérité subjugua bientôt la foule entière. « C’est la dure nécessité de ma situation qui me fait avoir recours à la Hongrie, dit-elle avec la plus noble simplicité. Il s’agit de tout sauver, le pays, la personne royale, mes enfans, la couronne ; je suis abandonnée de tous, et ne me fie qu’à la loyauté des Hongrois et à leur bravoure bien connue. Dans ce péril extrême, je demande aux états qu’ils protègent et ma personne et mes enfans, et le pays et la couronne. » Et alors, mère et femme la plus tendre qu’il y eût au monde, victorieuse déjà par son heureuse audace, elle fut vaincue par le souvenir de ses enfans et fondit en larmes. Il ne resta pas un ennemi de la reine dans cette salle du château de Presbourg, sa magnanimité les avait domptés tous, car tous l’avaient comprise, et les mots : vitam nostram et sanguinem consecramus, sortirent de toutes les poitrines avec une véritable conviction. « Une main de femme vaudrait mieux ici que celle d’un homme, » écrivait don Juan d’Autriche quand Philippe II l’envoya