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comme gouverneur, parole ou plume en Hongrie pût éluder la surveillance la plus stricte. E pur si muove ! la vie publique s’agitait en dessous ; chaque jour, on reconnaissait à un nouveau signe que le souffle de la nation n’était que suspendu. Ce qui frappa trop peu de monde et ne put cependant échapper à quiconque voyait le dessous des cartes, c’est que l’initiative (si le moment d’agir venait) appartiendrait infailliblement aux membres du parti conservateur. Je m’explique. Comme en Hongrie le patriotisme ne manque jamais, et que le sens politique est plus ou moins partout, ceux qu’on nomme les Alt-conservatifs s’étaient modifiés au point de ne représenter plus que les transactions inévitables. Ils avaient rassuré tout le monde à l’endroit du libéralisme, et tout le monde commençait à saluer en eux les meilleurs instrumens d’une réconciliation nécessaire. Entre les deux partis (autrefois opposés) des conservateurs et des radicaux[1] se tenait Déak, centre des espérances du public. Il pouvait pencher de l’un ou de l’autre côté. On va voir comment il se prononça.

Après les discours sympathiques pour la Hongrie qui avaient rempli plusieurs séances du reichsrath de Vienne dans l’hiver de 1865, Déak prit le parti d’écrire dans son journal, le Pesth-Naplo, une sorte de manifeste ou de profession de foi qui en même temps était un appel à la conciliation, et qui en toutes lettres déclarait qu’il fallait tout attendre de la couronne ! Le manifeste paraissait le dimanche de Pâques… Quinze jours après, dans le Débatte, organe du soi-disant parti conservateur à Vienne, paraissait le premier programme politique par lequel les Hongrois eussent répondu favorablement jusqu’ici aux sommations autrichiennes. Le programme cette fois encore, quoique publié par un organe conservateur, émanait de Déak, et il ne le désavoua pas. Donc, entre les deux partis, Déak choisissait le moins exagéré et donnait délibérément le poids de son nom et de son immense popularité aux partisans ouverts d’une transaction. La modération semblait à l’ordre du jour, et on ne sait pas assez ce que cela veut dire en Hongrie, où, bien que la modération se rencontre chez les esprits les plus distingués, eux-mêmes reconnaissent qu’en s’avouant modérés ils risquent d’affaiblir leur action.

On le voit, ces détails étaient indispensables pour indiquer la signification vraie de la visite de François-Joseph à Pesth. On comprendra aussi combien devant ces modifications successives des deux côtés, et devant cette salutaire influence de la force des choses, combien, dis-je, il devient oiseux de constater la part précise d’op-

  1. Les radicaux forment ce qu’on nomme le Beschlusspartei ou l’extrême gauche.