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si vraiment patriotiques du comte Emil Dessewffy en mars 1861, paroles alors dédaignées, mais heureusement applicables aujourd’hui : « Quand un mari et une femme ne peuvent divorcer, ce qu’il y a de plus sage, c’est de chercher à se tolérer mutuellement. » Placée comme elle l’est géographiquement, la Hongrie ne peut s’unir qu’à l’Autriche ; mais le contrat qui les lie se base sur des devoirs et des droits égaux des deux côtés. Si le passé renferme une même somme de torts et de fautes, donnons le respect mutuel pour point de départ à l’avenir. Je sais que cela est difficile, mais le salut de deux nobles pays en dépend, et s’entre-marchander son estime et sa confiance serait désormais l’acte le plus impolitique. Il convient que de parti-pris on se fie l’un à l’autre ; hors de là, pas de remède. Ces quatre dernières années ont appris aux Autrichiens que les Hongrois étaient en mesure de refuser d’acheter trop cher la réunion avec l’Autriche, mais elles ont aussi appris aux Hongrois que l’empire pouvait vivre sans le royaume. Tous deux ont pu reconnaître que, sans l’union, toute puissance réelle, tout progrès, toute prospérité, demeurent interdits à chacun. Tels sont les principes de modération qui doivent guider les discussions ultérieures entre Vienne et Pesth. Pour le moment, ce qu’on a gagné par le voyage royal, c’est, je le répète, un terrain sur lequel on pourra se réunir pour délibérer, c’est l’aveu mutuel bien constaté qu’on désire se rapprocher et s’entendre. Ce n’est que cela, et c’est déjà beaucoup.


III

Il faut rechercher maintenant quels avantages politiques peuvent naître pour l’Autriche comme pour la Hongrie de cette situation nouvelle. Ce qui est resté à l’Autriche de son passé, c’est, il faut bien le dire, une certaine lenteur de vie. La conscience de ce qu’elle est et de ce qu’elle a ne lui est point encore pleinement venue. Il en résulte qu’ayant plus de liberté et plus de forces qu’elle ne sait, elle en éprouve une sorte d’embarras, et parfois use avec maladresse de biens qui ne lui sont pas familiers. C’est un peu l’histoire de tout prisonnier : une longue contrainte rend coutumière la gêne des mouvemens, et fait qu’en pleine lumière on garde encore l’habitude du demi-jour. Il est constant qu’en Autriche, à l’exception de quelques esprits distingués, — et qui, échappant aux influences de leur entourage, relèvent toujours et partout d’eux-mêmes, — on craint la vie. Ce torrent irrésistible qui porte vers leurs destinées les deux nations maîtresses de France et d’Angleterre, l’Autriche le redoute encore et n’y voit qu’un danger. J’appuie à dessein sur cet état de choses, car, si l’on ne s’en rendait pas compte, on courrait risque d’être injuste pour un pays qu’il ne faut jamais juger d’après