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nouveau avec les mêmes diplomates lors des négociations de 1860 à Pékin. Si l’on est pressé, il faut évidemment adopter le premier mode, car, dans les luttes de la force, l’Europe finira par l’emporter sur la Chine ; mais alors il faut se résigner à la perspective d’une guerre de Chine à peu près tous les dix ans. C’est pour n’avoir pas à recevoir des ambassadeurs étrangers en résidence permanente dans la capitale que le cabinet de Pékin a essayé de déchirer les traités de 1858, et cette clause, insérée seulement dans le traité anglais, n’avait pas été exigée par le baron Gros. De même c’est en grande partie la question de l’audience impériale, rappelée intempestivement par lord Elgin à Tong-chaou, qui a rendu si difficiles les négociations de 1860. Certes les résultats obtenus à la suite des deux guerres sont considérables ; mais n’ont-ils pas coûté bien cher ? N’a-t-on pas couru de grands risques pour les conquérir, et est-on sûr de les conserver sans qu’il soit besoin de recourir encore à la force ?

Il vaut mieux que l’Europe se montre indulgente et bienveillante pour le gouvernement chinois. Elle accomplira plus lentement l’œuvre qu’elle poursuit et qu’elle ne saurait abandonner ; mais le progrès, plus régulier, n’en sera que plus sûr. En bonne justice, quand nous accusons les Chinois d’être si ignorans, si arriérés, si obstinément fermés à notre civilisation, sommes-nous certains nous-mêmes de les comprendre et d’être compris par eux ? Peut-être existe-t-il entre eux et nous des malentendus que nos plus habiles linguistes ne sont pas en mesure de dissiper. On remarque par exemple, entre la traduction anglaise et la traduction française des mêmes pièces diplomatiques qui ont figuré dans les dernières négociations, des différences plus ou moins sensibles qui attestent combien il est encore difficile que les deux races se communiquent leurs idées. Il importe donc qu’avant de condamner les Chinois en dernier ressort nous nous appliquions à les mieux connaître. C’est le but que s’est proposé M. le comte d’Escayrac de Lauture en publiant des mémoires pleins d’intérêt sur les mœurs et les coutumes ainsi que sur l’organisation politique et administrative de la Chine. Espérons que désormais ce sera par la science, et non plus par l’épée, que nous attaquerons le Céleste-Empire.


C. LAVOLLEE.