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auxquelles vous vous adressiez ont disparu, et celles qui leur succèdent ne comprennent plus rien à ce rossinisme vieillot émaillé de chansonnettes à la Monsigny. « La pire des mélodies est celle que chacun retient et fredonne, » s’écriait en l’an de grâce 1802 l’esthéticien Forkel, biographe passionné du grand Bach, lequel, tout en ayant en soi des mondes de musique, n’inventa jamais que je sache la moindre barcarolle ni le moindre pont-neuf. Il se peut que le précepte du vieux docteur en tablature semble au premier abord bien renfrogné ; mais qu’on pense à toutes les platitudes qui se débitent chaque jour sous ce firman de musique amusante et facile ! « De pareilles niaiseries me feraient presque rechercher Richard Wagner ! » s’écriait à nos côtés, pendant une représentation de Marie, un spirituel écrivain très connu par son dilettantisme humoristique. Cela s’appelle procéder par médications énergiques, et pour s’avancer ainsi il fallait que mon paradoxal voisin d’orchestre n’eût encore entendu ni Lohengrin ni Tristan und Iseult. Quoi qu’il en soit, l’ennui poussé à l’excès a parfois de ces réactions endiablées, et je comprends qu’on s’adresse au loup pour en finir avec ces fâcheux bêlemens de moutons de Panurge. Et cette pièce que j’allais oublier, ce tableau de mœurs inimaginable : des officiers en bottes molles et la bouche en cœur qui roucoulent des tyroliennes et soupirent la romance, comme c’était l’usage au fameux régiment du colonel Elleviou, un vieux général ganache qui ne se lasse pas de raconter à son ancien fourrier le fabliau de ses amours avec la baronne, le meunier dadais et pantin, la jolie meunière qui veut savoir le secret, l’amante éplorée d’Adolphe qui retrouve sa mère au dénoûment ! On vous dit : « Tout cela dans son époque a paru charmant, et vous avez mauvaise grâce à ne vous point amuser de choses cent fois applaudies par un public qui vous valait bien ; » mais les modes de 1826 aussi paraissaient charmantes, pleines d’élégance et de goût. Qu’on nous rende donc les manches à gigot, les coiffures en coque, les pantalons à chaînettes, les carricks et les bolivars, qu’on nous rende l’ancien Feydeau et son public de petites-maîtresses et de mirliflors, le seul public doué des grâces nécessaires pour écouter avec un sérieux convenable cette musique en style de pendule et ce langage où les paysannes qui se marient marchent à l’autel, où, quand une villageoise aime un jeune officier, elle porte le trouble et le désespoir dans la maison de ses bienfaiteurs, et où les fleurs sont l’emblème d’un amour vertueux, qui va, cette nuit même, couronner tous vos vœux.

Rien ne juge un ouvrage comme ces reprises. Il y a tel opéra de complexion mâle et robuste dont la mode de son temps n’a su que faire, et qui, après un sommeil d’un demi-siècle, va renaître à l’état de chef-d’œuvre. Prenez par exemple la Médée de Cherubini, que cette vaillante Tietjens évoquait dernièrement à Londres au milieu de l’étonnement et de l’admiration d’une génération nouvelle. De même de la partition d’Ali-Baba, qu’en 1833 cet octogénaire convaincu, cet austère génie de tant de verve et de puissance, vit tomber à l’Opéra entre le Comte Ory de Rossini et le Philtre