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Le succès s’était fait trop attendre, la récompense venait passé l’heure, et cependant on peut dire que cette mort en pleine lumière donne à la physionomie d’Hérold un intérêt de plus. Tant d’autres profitent de ce qu’ils n’ont pas mérité, tant de piètres hannetons se traînent indéfiniment sur toutes les roses de la vie, qu’il y aura toujours au cœur et dans l’imagination des hommes des trésors de sympathie rémunératrice pour les grands artistes qui ont souffert et sont morts jeunes. Géricault, Hérold, Musset, la France a là trois noms qu’on ne peut plus désormais surfaire, justement à cause de cette mélancolique et douce pitié qu’ils inspirent. L’auteur de Zampa et du Pré aux Clercs, lorsqu’il quitta ce monde, avait dit tout ce qu’il avait à dire, et cinq ou six partitions de plus qu’il eût écrites ne lui donneraient certes point aujourd’hui en admiration l’équivalent de cette poétique auréole dont s’éclaire sa mémoire. Quand M. Auber, avec cet esprit de louange distributive et d’effacement protecteur particulier aux grands seigneurs de tout ordre, répète si volontiers en parlant d’Hérold : « Il a la qualité, moi, je n’ai que la quantité, » M. Auber sait mieux que personne que cette petite flatterie envers un confrère mort et enterré depuis trente ans n’ôte rien à la supériorité musicale absolue de l’homme qui a fait la Muette, Fra Diavolo et le Domino noir, mais il répond très spirituellement au sentiment du public touchant Hérold, à la légende.

N’est pas qui veut un martyr de la sorte. J’en sais des mieux pourvus, des plus gâtés, qu’un pareil destin tenterait, à la condition cependant que la vraie douleur serait écartée et qu’on s’en tiendrait aux simagrées. Amuser les salons, jouer la distraction, l’égarement du génie, triste métier qui réussit d’abord comme tous les charlatanismes, mais dont la piperie n’aura jamais qu’un temps. La vraie souffrance cherche l’ombre, le grand artiste endolori ne se fait un tremplin ni de son découragement ni de sa science. Hérold possédait un immense fonds d’érudition ; certains ballets de lui sont des répertoires de connaissances musicales. Avec ce qu’il a mis d’élégance, de distinction, de style dans la Somnambule, la Belle au Bois dormant, à reproduire, varier et festonner les motifs des maîtres, plus d’un bel esprit d’aujourd’hui, au piano, ferait sa fortune. C’était un musicien dans toute la force du terme qu’emploie Rossini quand il veut caractériser son homme. Ce mot en effet dit beaucoup. L’idéal que cherchait Hérold, que son œuvre laisse entrevoir, sans doute il ne l’a pas atteint ; mais lorsqu’un artiste a consumé sa vie entière dans ce travail, dans cette lutte, lorsque cet artiste a écrit Zampa, le Pré aux Clercs, de bonne foi faut-il venir parler de son impuissance ? La postérité, qui déjà pour Hérold a commencé, ne s’y trompe pas ; l’empressement du public, même un peu exagéré, n’est en somme que justice, et, dans une équitable répartition des choses, ce qu’il a souffert doit être mis au compte de ce qu’il a produit.

Le décret accordant la liberté des théâtres livre au domaine public les chefs-d’œuvre de la scène française à la condition qu’on ne s’en moquera point. Allons-nous en être réduits à réclamer contre l’Académie impériale