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Valentine se déclare à Raoul. Ces mots « reste, je t’aime ! » au lieu de les dire tout en dehors et dans l’élancement d’une passion qui ne ménage plus rien, elle les comprime et les étouffe en elle. Mme Stoltz, la Cruvelli, la Grisi, la Schrœder-Devrient surtout, ont laissé en faveur de cette interprétation éperdue, échevelée, des souvenirs qui ne s’effaceront pas. Je crois que Mlle Falcon, qui, sous l’influence de Nourrit, créa le rôle, prenait la chose tout autrement et de cet air de réaction subite qui, pour être moins dans le mouvement du personnage tel que Meyerbeer l’a conçu, répondait peut-être mieux aux bienséances.

Malheureusement pour Mlle Lichtmay, son physique, qui promet une Alboni, nuit beaucoup à la liberté du geste et de l’élocution. Lorsqu’il faudrait aller, courir, se démener, sa puissance, comme le grand roi, l’attache au rivage. À ce point de vue, ce duo du quatrième acte, dernier terme de l’expression dramatique, affecte par momens des airs bouffons. M. Villaret d’un côté, Mlle Lichtmay de l’autre, c’est à qui bougera le moins. Jouer et chanter à la fois, impossible. On opte pour le chant, et, crainte de s’essouffler, on pondère ses gestes, on économise ses pas, on dynamise sa passion. Shakspeare, dans Jules César, veut qu’on se défie des hommes maigres. J’estime que ce précepte, bon quelquefois en politique, est décidément pris trop au sérieux par l’Académie impériale de musique. Défions-nous des hommes maigres, mais ne donnons pas dans cet autre excès de la corpulence et de l’obésité en matière de ténors et de soprani. Il faudrait la plume grasse d’un Rabelais pour décrire ce monde pantagruélique de jeunes premiers pansus comme des financiers et de Juliettes rebondies qui feraient craquer sous leur poids tous les balcons de Vérone. M. Faure, au milieu de cette déroute générale, continue seul à maintenir la tradition du bel art français. Ainsi compris, ainsi rendu, ce joli rôle de Nevers devient le premier rôle de l’ouvrage, et l’importance dramatique de Raoul diminue de toute la somme d’intérêt que la personnalité du chanteur force à se porter sur le caractère du mari de Valentine. Ce caractère d’époux élégant et chevaleresque, qui dans la pièce incommode déjà beaucoup la sympathie que l’amant et sa maîtresse réclament, prend même sous les traits d’un comédien et d’un chanteur de cette distinction une importance dominante de nature à déplacer le centre de gravité. Il est vrai qu’il suffirait d’un Nourrit, d’un Roger jouant Raoul, d’une Falcon ou d’une Cruvelli dans Valentine, pour rétablir aussitôt l’équilibre, et que peut-être ce rôle secondaire ne nous parait aujourd’hui trop en lumière que parce que les rôles principaux sont trop dans l’ombre. Quant à moi, je ne puis m’empêcher de savoir gré à M. Faure de son zèle intelligent, de cette étude digne des meilleurs temps de l’opéra. Je détache le rôle du triste ensemble de la représentation et le goûte comme un objet d’art, comme un émail de prix, un portrait de Clouet, et sans me creuser la cervelle à chercher la critique au fond des choses qui me plaisent, j’applique à l’interprète ce pas