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M. Gladstone, le représentant le plus élevé du libéralisme anglais, a jeté pour cri de ralliement aux électeurs du Lancashire le mot : move on ! en avant ! C’est en tout temps et en tout pays la devise des libéraux. En avant ! chez nous, France, cette devise veut dire aujourd’hui : Prenons tous part aux affaires publiques. Dans les affaires générales comme dans les affaires locales, n’attendons point d’en haut le mot d’ordre impérieux ; Inspirons au contraire et conduisons le pouvoir et l’administration avec les lumières de tous, sous l’influence des idées et des intérêts librement, spontanément et sincèrement représentés, par l’action des corps publics émanés de l’élection. Voilà la politique qui est aujourd’hui en marche parmi nous et qui ne s’arrêtera plus qu’après avoir complètement triomphé. Un pouvoir prévoyant, et qui aurait à cœur de ne point se séparer de l’opinion publique, devrait comprendre cette tendance et en tenir grand compte. Ce mouvement est secondé par une loi irrésistible de la nature humaine. La force et la splendeur de la vie dans les peuples en pleine sève ne consistent point dans l’obéissance mécanique à des directions données par le pouvoir ; l’idéal des hommes en société politique n’est point d’emboîter le pas et de marcher en rangs sur les talons les uns des autres, suivant la pittoresque définition que le général Sherman vient de donner de la guerre : la vie et l’idéal sont dans la féconde variété des talens, des caractères, des intérêts se faisant jour librement à travers les combinaisons sociales. La faute commise par un pouvoir qui voudrait couvrir de son patronage tous les actes de la vie publique d’un peuple, qui aurait la prétention de dicter au pays ses choix et de marquer à chacun sa place, serait de se briser contre une loi naturelle.

Cette prétention serait le danger d’un régime autoritaire comme celui qui est né en 1851. C’est une illusion commune aux hommes qui arrivent au pouvoir par des accidens de force d’oublier les générations qui viennent après eux et derrière eux. Chaque révolution chez nous produit sa fournée d’hommes politiques. Ceux-ci, une fois arrivés, commettent toujours la faute de tirer derrière eux l’échelle, et s’imaginent que la ténacité avec laquelle ils se cramponnent au pouvoir, aux places, aux fonctions élues, doit suffire à la béatitude universelle. Les influences, depuis les sphères les plus élevées du gouvernement jusqu’au cercle étroit des plus modestes communes, se figent pour ainsi dire dans des coteries dont la suprématie, en durant, devient irritante et insupportable. Même pour ceux qui sont détachés des plus légitimes ambitions personnelles, il est souverainement fastidieux de voir toujours représentés la même pièce par la même troupe. La scène s’encombre ainsi de ténors éreintés, de barytons ridicules, qui seraient avantageusement remplacés pour l’agrément du parterre par de jeunes choristes. Il faut l’air de la liberté pour rafraîchir et purifier cette température de serre chaude ; il faut que la liberté produise ses hommes, les pousse, les entraîne, les place et les déplace par ses mouvemens natu-