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rains, le plus glorieux des élèves d’Oxford, et il semblait que sa renommée fût inséparable de la gothique et vénérable université. On prévoyait cette rupture, et pourtant on voulait espérer jusqu’à la fin qu’elle n’aurait pas lieu. C’est l’esprit de conservation religieuse et politique qui a, dans cette circonstance, frappé un homme que sa conscience, sa raison, le sentiment du devoir patriotique, ont irrévocablement attaché à la cause du développement progressif des institutions de son pays. Cependant un célèbre professeur d’Oxford, le docteur Pusey, quoique représentant des idées de high church, auxquelles M. Gladstone s’était rallié au début de sa carrière, n’avait pas craint d’intervenir avant l’élection en faveur du ministre libéral, et avait rappelé aux membres de l’université qu’ils devaient, en choisissant leur député, s’inquiéter bien plus des intérêts spirituels de l’église que de ses intérêts matériels engagés dans le conflit des partis. M. Gladstone a pu être péniblement affecté de son échec ; mais il a dû en être étonné moins que personne : c’est aux hommes d’état les plus vaillans que sont réservés les accidens de cette nature. Quand M. Gladstone est entré dans la vie politique, il était l’espérance de la haute église et du torysme : aujourd’hui, après avoir fait pour le progrès économique de l’Angleterre plus qu’aucun homme d’état vivant, il est devenu l’espérance de ceux qui veulent effacer des institutions anglaises les derniers restes de l’esprit d’intolérance et d’exclusion, qui veulent élargir la constitution pour y faire entrer graduellement la démocratie. M. Gladstone a été l’homme pratique le plus progressif de son temps. On comprend qu’une évolution aussi vaste que celle qu’il a accomplie soulève des rancunes et des ressentimens que la bonne foi et le talent ne peuvent désarmer tout de suite ; mais il est impossible de répondre avec plus de noblesse et de modestie en même temps que ne le fait M. Gladstone à ceux qui lui reprochent son action politique actuelle en lui rappelant son origine. Ce qui rend la parole de M. Gladstone plus attachante encore peut-être que l’éloquence dont elle déborde, c’est l’accent de sincérité et d’honnêteté qui la domine. On en a eu un magnifique exemple à Liverpool. Une demi-heure après que le télégraphe avait annoncé son échec à Oxford, M. Gladstone prenait la parole devant une assemblée populaire pour poser sa candidature dans le Lancashire. Il était sous l’émotion d’une des crises les plus importantes de sa vie politique. Au moment où s’accomplissait son divorce avec l’université d’Oxford, il avait, pour justifier sa carrière, à retracer les grandes lignes des principes qui ont présidé à ses actes comme ministre, et qui doivent inspirer sa conduite future. Ses adieux à Oxford furent son exorde ; ils furent touchans : point d’amertume, point d’aigreur ; on y sentait comme une tendresse endolorie pour l’alma mater, pour cette vieille mère des études à laquelle M. Gladstone est inséparablement lié par les meilleurs souvenirs de sa jeunesse. Une harangue très élaborée, prononcée quelques jours avant par M. Disraeli, fournit à M. Gladstone une opportune et large pâture pour le