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détail le rôle joué par la marine dans la crise américaine qui a duré de 1861 à 1865 ; puis, dans une seconde partie, nous essaierons de montrer les nouvelles conditions d’existence réservées chez nous à cette même marine, alors qu’un trop grand nombre d’esprits nous paraissent portés à douter de son avenir. Nous ne tairons aucun des motifs de ce doute fâcheux, ayant quelque espoir qu’il sera plus qu’à demi dissipé lorsqu’on se sera rendu un compte exact de toute la part qu’a eue la force navale des États-Unis dans le triomphe de leur noble cause.


I

Ce qui fait de la guerre d’Amérique un si utile sujet d’étude, c’est que tous ses développemens sur terre comme sur mer ont répondu à des nécessités imprévues pour un peuple chez lequel une grande guerre n’avait point de précédens. Rien n’avait été préparé par avance en vue d’une crise aussi gigantesque. La jeune république en était encore à l’âge d’or des sociétés nouvelles. Sans ennemis avoués au dehors, sans jalousie de voisinage, sans politique traditionnelle de domination, elle vivait heureusement exempte de toutes les charges qu’une longue et triste expérience a imposées à nos vieilles monarchies. Chez elle, armée et marine étaient à peine suffisantes aux besoins de la paix, à la surveillance des tribus indiennes des frontières, comme à ce service de gendarmerie, navale que réclamé un commerce maritime très étendu. Jamais les Américains n’avaient eu d’escadres, ni songé à en réunir ; jamais ils n’avaient songé à disputer l’empire des mers à telle ou telle nation. S’ils avaient, dans les premières années de ce siècle, entrepris contre l’Angleterre une lutte maritime marquée par de glorieux faits d’armes, c’était pour faire respecter en eux les droits du plus faible contre les abus de la force, et maintenir les principes de liberté des mers que chacun revendique aujourd’hui ; mais ils étaient trop jaloux et trop amoureux de leur indépendance pour vouloir porter atteinte à celle des autres et devenir agresseurs. Ils voulaient être respectés : et leur marine, telle qu’elle existait en 1861, au moment de la sécession des états à esclaves, suffisait à ce résultat. Elle se composait alors d’un certain nombre de croiseurs qui allaient les uns après les autres montrer le pavillon et appuyer l’autorité des consuls sur toutes les mers du globe. Un corps d’officiers peu nombreux, mais excellent, rompu au métier et rempli de bonnes traditions, formait les états-majors. L’appât d’une paie, élevée, attirait les meilleurs matelots de toutes les nations. Tout l’ensemble enfin constituait une force navale numériquement