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mais ricochent au lieu de pénétrer. Farragut ordonne alors une charge combinée de tous ses navires à la fois contre le ram, dans l’espérance que, pris entre de grandes corvettes de 1,500 à 2,000 tonneaux lancées à toute vapeur, il finira par être écrasé. Cependant, bien que rien ne l’indique à l’œil, le ram a souffert de tous ces chocs répétés ; l’appareil avec lequel il gouverne est brisé ; Buchanan a la jambe emportée ; enfin les monitors, pendant tout ce temps, ont été à l’œuvre contre l’ennemi avec des boulets pleins en fer et en acier de 11 et de 15 pouces. L’un des monitors, le Manhattan, a successivement augmenté la charge de son canon de 15 pouces de 35 livres à 60, et un boulet de ce calibre a traversé la muraille de 6 pouces de fer et de 25 pouces de bois du Tennessee en faisant voler une grande masse d’éclats. Avant que l’attaque générale ait le temps de s’exécuter, le chef confédéré fait signe qu’il se rend. Le succès était complet. Farragut, maître de la baie, pouvait couvrir les opérations des troupes chargées d’assiéger les forts qui en ferment l’entrée. Ces forts se rendirent sans prolonger une résistance inutile.

Il en avait coûté cher pour obtenir cet avantage décisif : sans compter l’équipage noyé du Tecumseh, on avait perdu deux cent vingt-deux hommes, dont quatorze officiers, le bâtiment de Farragut avait à lui seul vingt-cinq tués et vingt-huit blessés ; mais les Américains avaient accompli un fait d’armes dont ils ont raison de s’enorgueillir, car il n’y en a pas de plus éclatant dans l’histoire navale de notre temps, et l’habileté, l’énergie, montrées dans cette occasion, comme en tant d’autres, par l’amiral Farragut le placent incontestablement au premier rang parmi les marins de toutes les nations. S’il y a un regret à exprimer après ce récit, c’est que l’effusion du sang n’ait pas été diminuée, comme elle aurait pu l’être en plaçant au moins un canon de 15 pouces ou un équivalent à bord de chacune des grandes corvettes.

Mais continuons. Voilà les ports de la confédération fermés, et, comme nous l’avons dit plus haut, le gouvernement fédéral tenait beaucoup à séparer ainsi les rebelles de la mer, afin d’ôter tout prétexte aux droits de belligérans que les nations européennes leur avaient concédés sur mer. De cette concession et de la sympathie étrange, mais avouée, que la cause esclavagiste trouvait en Europe, étaient nés de graves embarras pour l’Amérique. Un certain nombre de bâtimens armés et équipés principalement en Angleterre s’étaient répandus sur les mers, y faisaient la course contre la marine marchande fédérale, et partout étaient traités en navires de guerre, admis à toutes les immunités de droit et de courtoisie qu’il est d’usage d’accorder à cette classe de navires. Parmi ces croiseurs,