Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/823

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dégoûts certains, et les choses se passeront chez nous comme elles se sont passées en Belgique. Nos matelots et leurs enfans chercheront et trouveront à terre des industries plus lucratives et moins pénibles. Le coup frappera d’abord notre marine marchande ; mais, à défaut de la navigation sous pavillon national, nos armateurs auront la ressource de faire la commission sous pavillon étranger. Ce sera pour la marine militaire que le coup sera irréparable, qu’il sera mortel. Ce n’est pas dans notre pays en effet qu’on pourra pratiquer ce qui se pratique en Russie, élever des enfans pour le métier de marin et les garder vingt-cinq ans au service. Il est permis à un gouvernement à demi asiatique de se procurer à ce prix des matelots. Encore s’impose-t-il la charge de les garder, de les payer pendant la paix, pour les avoir pendant la guerre, ce qui constitue à la fois pour les populations une loi d’exception d’une dureté sans égale, et pour l’état une lourde charge. Malgré les tendances autocratiques de notre législation, nous n’en sommes pas là : les réclamations qui s’élèvent contre notre inscription maritime s’élèveraient avec une bien autre force contre un pareil régime. Encore une fois conservons le nôtre.

Pris un à un, tous les élémens qui composent la marine française sont excellens. Nos officiers réunissent toutes les qualités du marin : navigateurs, explorateurs, hydrographes également habiles, on les a vus aussi bons à organiser qu’à conquérir la Cochinchine, et menant à la fois et avec le même succès la guerre et la diplomatie en Chine et au Japon. On les a vus soldats en Crimée et au Mexique, faisant l’admiration de l’armée par la variété de leurs aptitudes. Il n’y a qu’à le vouloir pour que les choses soient toujours ainsi, et que notre jeunesse ne cesse pas de rechercher une carrière dont la glorieuse étendue vient d’être suffisamment démontrée par la guerre américaine.

Et pour parler en finissant de nos matelots, qui ne connaît l’intelligence, le dévouement de cette race hardie, généreuse, honnête, dont le seul tort est d’être trop peu nombreuse ? Empêchons à tout prix ce nombre de diminuer encore. Ne sacrifions pas précipitamment tout un passé, qui a pour lui la sanction de l’expérience, à des avantages partiels et peut-être éphémères. Ne prenant conseil que du bon sens et de l’intérêt national, sachons reconnaître et éviter les écueils placés sur notre route. Alors nous pourrons non-seulement nous glorifier des services rendus jusqu’à ce jour par notre marine, mais en attendre avec confiance d’aussi grands dans l’avenir.


V. DE MARS.