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en sommes. La reine va sans cesse à Paris, à l’Opéra, à la comédie, fait des dettes, sollicite des procès, s’affuble de plumes et de pompons, et se moque de tout ! »


Elle ajoute le 7 août 1777, et puis dans deux lettres d’octobre et novembre 1779 :


«…Les nouvelles de notre pays sont tristes : enfance, faiblesse, inconséquence continuelle, nous changeons sans cesse, et toujours pour être plus mal que nous n’étions d’abord. Monsieur[1] et M. le comte d’Artois viennent de voyager dans nos provinces, mais comme ces gens-là voyagent, avec une dépense affreuse et la dévastation des postes et provinces, — n’en rapportant d’ailleurs qu’une graisse surprenante. Monsieur est devenu gros comme un tonneau ; pour M. le comte d’Artois, il y met bon ordre par la vie qu’il mène. Necker a des vues politiques et veut le bien ; reste à savoir s’il pourra nous le procurer. M. de Maurepas est plus léger que jamais.

«…Monsieur est bien paresseux et bien gras ; il serait à souhaiter qu’il prît un genre de vie plus analogue à son caractère : il veut faire le petit émoustillé, et cela ne lui va point… La cour est toujours la même : personne n’y va. Le roi et la reine vivent dans un très petit cercle de monde ; on joue un jeu affreux, et le luxe monte toujours. Bientôt il n’y aura plus de riches que les artisans, et la noblesse deviendra pauvre. Le roi, la reine et la famille royale se portent bien ; ils sont si jeunes et moi si vieille que je ne vais plus à la cour. Je n’ai conservé de relations qu’avec Monsieur, et votre majesté en devine aisément la raison. »


La comtesse de La Marck faisait allusion ici à l’utile liaison qu’elle avait su ménager entre le jeune roi de Suède et le comte de Provence. La correspondance du comte devait être fort précieuse pour Gustave III, non pas seulement par les informations toutes spéciales qu’elle pouvait contenir, mais à cause des rapports de familiarité qu’elle lui assurait avec un prince qui était encore l’héritier du trône ; à défaut de l’amitié du roi lui-même, celle-ci n’était pas à dédaigner. Pour nous aussi, ce qui s’est conservé de cette correspondance dans les papiers d’Upsal est d’un véritable intérêt, parce qu’elle nous fait pénétrer dans l’intime voisinage du roi et de la reine, et nous découvre le futur Louis XVIII. Les lettres du comte de Provence ne sauraient toutefois être citées ici intégralement, car un verbiage insipide, composé de vaines formules de politesse, y occupe une place excessive ; quelques lignes d’une première lettre en date du 21 janvier 1775 suffiront à marquer le ton général de ces pages. L’auteur s’est fait plus tard, comme on sait, une certaine réputation de bel esprit, et l’on a dit qu’il savait citer, avec à-propos,

  1. On sait qu’il s’agit du comte de Provence, plus tard Louis XVIII.