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croire, je ne m’en sentais pas du tout, — ni de tristesse, qu’on aurait pu attribuer à la faiblesse d’âme, L’intérieur a été plus difficile à vaincre : il se soulève encore quelquefois ; mais, à l’aide des trois secours dont je viens de vous parler, je le tiens du moins en respect, si je ne puis le soumettre entièrement. Je me suis fort bien aperçu que l’on cherchait à me pénétrer dans le commencement de la grossesse de la reine, et je l’ai évité avec soin. La seule réponse qu’on a pu tirer de moi a été celle-ci : j’étais vivement pressé de m’expliquer à ce sujet par une personne que je connais beaucoup et avec qui je suis en grande liaison de société, mais non pas d’intimité de confiance ; je lui ai dit : Deus dédit, Deus abstutit, fiat volunlas Domini, et depuis ce temps je n’ai plus été questionné. A la vérité, il y a un an, j’aurais bien dit, comme Charles XII : Deus dédit, diabolus non abstollet a me[1]. »


Quelque résignation qui paraisse dans ces lignes, il est évident qu’elle n’étouffé ni le regret ni sans doute un reste d’espoir. Le comté de Provence écrit bientôt après à Gustave : « Quand ma nièce (Marie-Thérèse, plus tard duchesse d’Angoulême) est venue au monde, j’ai été fort aise, j’en conviens[2]. » Et il ajoute : « Ma belle-sœur a bien fait les choses cette fois-ci ; mais il est à craindre que cela n’aille pas si bien une seconde fois. » En effet, la naissance d’un premier dauphin en 1781, celle d’un second en 1785, vinrent écarter le comte de Provence pour un temps d’un but vers lequel la fatalité devait le rejeter violemment plus tard. On comprend que, pendant ces premières vicissitudes, les pensées secrètes du prince et de son entourage aient prêté au soupçon, et nous trouvons dans ses lettres plus d’un indice de ces divisions sourdes qui, dès le commencement du règne, avaient assombri la cour de Versailles et créé particulièrement autour de Marie-Antoinette une dangereuse atmosphère de médisance, puis de haine et de calomnie.

Les correspondances que nous venons de citer, qu’elles émanent du beau-frère de la reine où de la vieille comtesse de La Marck, sont loin d’être bienveillantes, comme on le voit, pour la famille royale ; elles relèvent les fautes plus volontiers que les courageuses tentatives au milieu de circonstances toujours plus difficiles. Nous n’oserions pas affirmer qu’elles répondissent ainsi aux secrètes dispositions du roi de Suède ; on a vu cependant que Gustave III ne se croyait pas engagé à l’égard de Louis XVI par les mêmes liens de respect qu’il avait acceptés envers Louis XV, et que la brillante dauphine lui avait fait jadis un assez froid accueil. Le seul comte de

  1. Abstollet n’est rien moins qu’un bel et bon barbarisme ; mais jusqu’où la manie des citations, qui le posséda toujours, n’eut-elle pas entraîné l’auteur de ces lettres !
  2. Fort aise que ce ne fût pas un dauphin.