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que c’était son unique passe-temps. Il ne pourra plus chasser que certains jours dans la semaine… Il a ordonné d’ouvrir la porte du bois de Boulogne, contre l’usage ordinaire, et il y fait des promenades à pied, entouré de tout le peuple de Paris, qui ne se lasse point d’y accourir, de le voir et de le bénir. — Le duc de, Nouille, a voulu se retirer en disant qu’il était trop vieux pour bien remplir les fonctions de sa charge. Le roi lui a dit : « Votre fils les fera pour vous mais vous ne me quitterez pas ; j’ai besoin d’être entouré d’honnêtes gens qui aient le courage de m’avertir de mon devoir. » Cela est d’autant plus beau que le duc de Noailles est connu pour avoir souvent poussé la franchise avec le feu roi jusqu’à la brusquerie. Cette réponse du roi toucha si fort le duc qu’il fondit en larmes et lui dit : « Je ne vous quitterai pas tant que j’aurai un souffle. » — Le roi a dressé une liste de tous les plus honnêtes gens de son royaume, et il l’a toujours sous les yeux pour les choix qu’il doit faire. Il se barricade d’honnêtes gens, — Le roi travaille beaucoup ; il s’enferme tous les jours pour parcourir des papiers que le feu dauphin son père lui a laissés, et dans lesquels il a traité toutes les matières relatives au gouvernement. Jeudi dernier il a travaillé onze heures, hier et avant-hier huit heures. A chaque travail de M. de Vergennes, il garde les papiers de son portefeuille, les parcourt, y fait ses observations, et les lui renvoie le lendemain. M. de Vergennes me montra un paquet de plus de soixante lettres que le roi lui avait écrites toutes de sa main. — Comme le roi s’occupe infiniment de la réforme des mœurs, il a voulu sévir contre ceux dont la conduite donne le plus de scandale ; mais M. de Maurepas lui a représenté que les princes ne peuvent rien pour cela que par leur exemple et par la sage répartition de leurs faveurs. Il s’est rendu à ce raisonnement. Déjà les fils du comte de Noailles, ceux du duc de Coigny, MM. de La Fayette et de Grammont, se font remarquer par leurs mœurs et leurs connaissances ; la jeune noblesse française commence à prendre un esprit tout différent de celui qui régnait il y a quelques années. »


Creutz attribue tout d’abord à l’influence de la reine le rappel de Choiseul, naguère exilé à Chanteloup, et qui reparaît à la cour. C’était une grande question pour Gustave III de savoir si cet homme d’état, qui l’avait jadis encouragé à faire sa fameuse révolution, reviendrait au pouvoir ; aussi l’ambassadeur recueillait-il avec grand soin tous les bruits relatifs à cette affaire. Dans ses premières dépêches, il croit que Mme de Marsan, à la tête de ce qu’on nomme le parti des dévots, parviendra à tenir l’ancien ministre éloigné : Louis XVI lui paraît prêter l’oreille aux calomnies de ce parti, qui ne craint pas d’attribuer à de criminelles instigations de Choiseul la mort du dauphin, père du roi ; mais enfin la reine, de qui l’ancien ministre de Louis XV a fait le mariage avant de succomber devant les créatures de Mme Du Barry, l’emporte auprès du roi, et la fin de l’exil de Choiseul est un commencement d’apparent triomphe pour Marie-Antoinette.