Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouvrages, on dirait plutôt un chrétien du vieil Orient occupé à faire des recherches dans les bibliothèques de l’Europe qu’un savant de l’Europe allant demander à la Palestine la confirmation de ses travaux. Les livres saints, la littérature apostolique, les écrits non reconnus par l’église, mais qui, se rattachant aux origines du christianisme, peuvent aider les interprètes des documens sacrés, voilà son domaine. Protestant orthodoxe, il a des convictions très arrêtées ; il songe moins pourtant à les défendre par la discussion qu’à publier des textes. Que d’autres construisent leurs théories, remontent le cours des siècles, expliquent le rôle de tel personnage, opposent enfin la science à la science et défendent leur foi par la critique ; lui, il a mieux à faire que de soutenir M. Ewald contre M. Baur ou M. Vilmar contre M. Strauss. Sa mission, c’est d’arracher aux ténèbres les manuscrits des premiers âges chrétiens, de les comparer, de les classer, et d’arriver ainsi, de fouille en fouille, jusqu’aux premiers témoins de l’histoire évangélique. Avant tout, c’est un helléniste paléographe. De Leipzig à Paris, de Rome à Saint-Pétersbourg ; d’Oxford au Sinaï, pas une bibliothèque ne lui dérobera ce qu’il cherche ; il court, s’il le faut, d’un bout de l’Europe à l’autre pour transcrire une page oubliée. Quand un tel homme se met à raconter ses voyages, Ses découvertes, ses joies d’antiquaire au couvent du Sinaï, il mérite bien qu’on l’écoute, et avant de le suivre au pays de l’Évangile, en compagnie du grand-duc Constantin ; c’est lui d’abord qu’il faut présenter au lecteur.


I

M. Constantin Tischendorf est né à Lengenfeld, dans le royaume de Saxe, le 18 janvier 1815. Son père, originaire de Thuringe et disciple du célèbre médécin Hufeland à l’université d’Iéna, était digne d’un tel maître par la science comme par le dévouement ; sa mère, tout entière à ses devoirs, « n’en connaissait pas de plus grand, écrit un témoin digne de foi, que d’élever ses enfans dans la crainte de Dieu. » On voit tout de suite dans quelle atmosphère de savoir exact et de piété rigide se développait le futur helléniste. Lengenfeld, ville de fabriques, est l’une des premières communautés qui aient accueilli les doctrines de Luther, et l’on sait quelle impulsion la réforme a donnée à l’enseignement populaire en Allemagne. La vieille cité luthérienne est fidèle à cet esprit ; les ressources intellectuelles et morales n’y manquent point. Après y avoir poussé ses premières études jusqu’à l’âge de quatorze ans sous des maîtres dont il cite le nom avec tendresse, l’élève du gymnase de Lengenfeld passa au lycée supérieur de Plauen et de là