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c’est beaucoup. Que la doctrine soit contestable ou non, elle révélait du moins un esprit élevé, un cœur pur, avec des analyses psychologiques ingénieuses et quelquefois profondes.

D’autres essais littéraires ou historiques, des traductions du français, des études sur la cathédrale de Strasbourg et sur les flagellans du moyen âge d’après les écrivains de l’Alsace, quelques dissertations de philologie et d’exégèse sur le texte des Évangiles se partageaient son activité pendant ces années d’épreuves. Peu à peu cependant, au milieu de ces occupations variées, une idée s’empara de lui et devint l’unique objet de ses efforts. Le texte grec du Nouveau Testament, malgré les travaux de Richard Bentley et de Karl Lachmann, offrait encore pour les savans bien des incertitudes. Richard Bentley, après avoir annoncé vers 1720 une édition scientifique du livre sacré, c’est-à-dire une édition établie d’après les manuscrits les plus anciens régulièrement classés et historiquement appréciés, avait reculé devant les périls d’une telle entreprise ; une seule partie, un faible spécimen de l’immense labeur avait vu le jour. En 1831, l’illustre philologue allemand Karl Lachmann avait eu l’ambition de mener à bien le travail abandonné par le philologue anglais ; en publiant une petite édition du Nouveau Testament d’après les principes de la méthode nouvelle, il avouait que c’était là un simple essai et qu’il lui restait encore bien des recherches à faire avant de pouvoir donner une édition définitive, définitive au moins dans les limites du possible, c’est-à-dire justifiée par la comparaison des manuscrits actuellement connus. Entraîné par son ardeur, il annonçait hardiment en sa préface que cette édition serait conduite à bonne fin. Bientôt pourtant il hésita ; tant de voyages à faire ! tant de manuscrits à retrouver d’un bout de l’Europe à l’autre ! l’entreprise l’attirait et l’effrayait tout ensemble ; il sentait bien qu’il fallait y renoncer ou s’y livrer sans réserve. Professeur, écrivain, chargé de travaux sans nombre, il s’écriait avec douleur chaque fois qu’on lui rappelait ses promesses de la préface de 1831 : « Et le temps ! le temps ! » Le premier volume de cette édition, le premier seulement, a paru en 1842. Or c’est précisément à l’époque où Karl Lachmann se plaignait de ne pouvoir se donner tout entier à cette tâche effrayante que M. Constantin Tischendorf résolut d’y consacrer sa vie. Il était jeune, il avait devant lui le long avenir, il pouvait laisser là ses autres travaux, essais incertains d’un esprit qui cherche sa voie ; le but de sa carrière était trouvé. Une seule chose lui manquait, le nerf de la guerre pour entrer en campagne. Les premières demandes qu’il adressa au gouvernement saxon ne furent point accueillies. Enfin le premier magistrat de Leipzig, M. Paul de Falkens-