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pable, qui reste enfermé au fort Lafayette. Les démocrates s’indignent, mais à qui la faute ? Il faut bien que l’administration se défende. La faute est de ne pas comprendre que les lois répressives sont moins une menace qu’une protection pour la liberté.

27 juin.

J’ai vu hier M. Charles Sumner, assez connu pour que je me dispense de faire sa biographie. Tout le monde sait le rôle courageux que joue dans le congrès, depuis vingt années, ce généreux et infatigable défenseur de la liberté humaine. Tout le monde se rappelle le scandale de cette séance mémorable où un homme du sud, un député, vint en plein sénat assommer lâchement par derrière, et sur son fauteuil, l’orateur trop éloquent de la cause abolitioniste, — haut fait qui d’ailleurs lui valut de son parti un gourdin d’honneur, à pomme d’or, avec cette inscription : Hit him again. C’est par ces aménités parlementaires que le sud préludait à la guerre civile. M. Sumner s’est relevé, grâce à Dieu, plus redoutable et plus honoré que jamais. L’état du Massachusetts l’a réélu sénateur avec une unanimité touchante. Ses collègues lui ont confié les importantes fonctions de président du comité des affaires étrangères, et c’est au milieu des notes et des documens diplomatiques que je le trouvai la première fois, trop occupé pour que je pusse prolonger ma visite. Je suis retourné chez lui hier dimanche ; il m’accueillit avec une grande bonté et voulut bien s’entretenir, longuement avec moi.

M. Sumner est un homme grand, à traits un peu lourds, à figure intelligente et bonne. Sa manière est flegmatique, simple, cordiale, pleine de droiture et de sincérité. Il a conscience de son mérite, mais sans vanité aucune et sans cette fausse modestie souvent pire que la vanité. Érudit, curieux de toutes les choses nouvelles, sachant sur le bout du doigt notre littérature et notre histoire, il a immensément lu, appris et retenu. Dans notre causerie longue et rapide, il a passé en revue bien des hommes et bien des époques. A vrai dire, il est bien plus philosophe qu’homme d’état. Sous son apparence calme, c’est une sorte d’enthousiaste plein de foi dans sa mission morale et dans l’idée maîtresse à laquelle il a dévoué sa vie. C’est l’homme d’un principe plutôt que le chef d’un parti.

J’entends dire qu’il néglige un peu la diplomatie pour s’occuper de ses chers nègres, dont il est le défenseur attitré et en quelque sorte le père adoptif. Voilà la pensée noble sans doute, mais trop exclusive peut-être, à laquelle il a consacré sa vie. Hier le contentement rayonnait sur sa figure ; il venait d’obtenir dans le sénat l’abolition de la loi, odieuse d’ailleurs, qui refusait aux nègres le droit