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du marché de l’or. Qu’une fois les petits commerçans refusent de les prendre, qu’ils cessent d’avoir cours parmi le peuple, et ce pauvre M. Fessenden, qui vient de succéder à M. Chase, n’aura pris la direction des finances que pour associer son nom à la ruine publique.

Vous vous demandez peut-être ce que signifient ce changement partiel du ministère et cette retraite isolée de M. Chase. Défaites-vous, pour le comprendre, de toutes vos idées parlementaires de solidarité ministérielle. Le gouvernement ressemble ici à la cour du roi Pétaud. Sans la suprématie nominale du président, élu du peuple, — élu temporaire, bien entendu, — qui couvre ces querelles et donne à ce désordre quelque unité, on verrait clairement qu’il n’y a pas en Amérique un gouvernement, mais autant de gouvernemens qu’il y a de ministères et d’armées. Voilà un an que les ministres n’ont tenu conseil. Quand le général Grant fait la sourde oreille, il n’y a pas de porte-voix qui le force d’entendre. Chacun est maître dans son département, et tous ces lambeaux divisés du pouvoir ne cherchent à se rejoindre que pour se dominer. La guerre veut usurper sur l’intérieur, les finances veulent usurper sur les affaires étrangères. Le congrès est le seul juge avec lequel on compte, parce qu’il faut bien lui demander les lois. C’est lui qui, en rejetant le gold bill de M. Chase, a décidé le ministre à la retraite. Et remarquez en passant que si le système parlementaire de la responsabilité collective des ministres met, comme on le dit, le gouvernement dans les chambres, le système contraire les assujettit plus étroitement encore dans une république où chacun d’eux se trouve exposé isolément aux coups du despotisme représentatif.

Revenons à M. Chase. Il avait une idée fixe : étouffer, la spéculation et faire baisser le cours de l’or. Il croyait qu’il suffirait pour cela de relever par ordonnance le crédit du papier-monnaie, et que les intérêts pouvaient se manier comme des machines. Il proposa donc une loi qui interdît les opérations à découvert, les achats et les ventes fictives qui se résolvent en paiement de la différence. Vous jugez si le coup de baguette du ministre a eu le pouvoir magique qu’il en attendait. Dès le lendemain, la spéculation effrayée se concentra dans un petit nombre de mains ; elle se poursuivit en secret, sans concurrence, et sur-le-champ cette espèce de monopole éleva l’or de 40 pour 100. Le congrès voulut retirer le bill. M. Chase insista pour qu’il fût maintenu, et ce fut lui-même qui se retira. Vous savez quelle peine on a eue à lui trouver un successeur. Enfin le sénateur Fessenden, président du comité des finances, s’est laissé vaincre par le vœu de ses collègues et les prières du président. Je ne sais s’il a un système, et je souhaite qu’il n’en ait