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de rendre, l’image sensible aux yeux du diplomate saxon, Pour me prouver combien il était peu étranger à une entreprise comme la mienne, il me raconta que lui-même, plusieurs années auparavant, avait projeté une rectification critique du texte hébraïque de la Bible. Il avait réuni dans cette vue un comité de savans ; mais ni les uns ni les autres n’avaient voulu s’en mêler, nolevano impegnarsi, il alla prendre sur des rayons Une vieille bible hébraïque reliée en velours rouge et me demanda si je la connaissais. Je vis avec étonnement que c’était l’édition de Leipzig donnée par Reinecclus. Je fis un juste éloge de mon compatriote en ajoutant, toutefois que la critique du texte hébraïque offrait encore bien plus de difficultés que celle du texte grec. Entrant aussitôt dans cette idée, sa sainteté me signala tanti punti du texte hébreu, et moi je confirmai cette exposition si docte, si précise, en lui rappelant le fameux contresens des Septante, comme on les désigne, lesquels, par suite d’une confusion de voyelles ; ont substitué, à ces mots : les morts ne ressusciteront pas, la formule que voici : les médecins ne ressusciteront pas, ce que le pape ne put entendre sans rire de bon cœur.

« Il revint ensuite à mon édition du Nouveau Testament, et, pour en prendre une connaissance plus intime, il lut plusieurs passages des diverses préfaces ; il lut aussi la dédicace, sur le désir que je lui en exprimai. Il approuva sans réserve, à plusieurs reprises, mes principes de critique, et déclara entre autres choses que, pour l’étude du véritable, textes de saint Jérôme, les documens les plus anciens devaient être préférés. À ces mots de la dédicace où j’exprimais l’espoir de mettre au jour les plus anciens manuscrits du texte sacré en fouillant à fond les plus fameuses bibliothèques de l’Europe, il manifesta son admiration, fit allusion à ma jeunesse, à l’énormité de l’entreprise, et me demanda enfin à quel point j’en étais. Je lui répondis, qu’en France, en Hollande, en Angleterre, en Suisse, j’avais. obtenu tout ce que je désirais, mais qu’il me manquait encore les, manuscrits romains. Le pape dit aussitôt : — Mon Laureani sera tout à votre service.

« Il fallut bien, malgré les instructions de Lambruschini faire connaître la vérité tout entière. Je racontai sans détour que Lambruschini m’avait refusé communication de ces manuscrits, déclarant la chose absolument impossible. Non-seulement ce refus, on le voyait assez, ne venait point du pape, mais le pape ne pouvait se l’expliquer. Forse, — je cite ses paroles, mêmes, — forse perché passano adesso tanti forestieri. C’était en effet le temps de Pâques, où Rome, comme on wait, ne manque pas de visiteurs. Il attribua donc la mesure de Lambruschini, mesure générale et temporaire, à la nécessité de défendre le Vatican contre les importuns. Je lui dis dans les termes les plus vifs quelle serait ma reconnaissance si sa sainteté daignait intervenir elle-même dans cette affaire, et il me parut en effet que telle était son intention. Ses derniers mots, adressés au ministre saxon, qui m’accompagnait furent ceux-ci : Ho tanto piacere di conoscere questo bravo signore professore.

« Et quel fut le résultat de cette audience ? Le même jour, sa sainteté se rendit à la bibliothèque du Vatican auprès de « son Laureani, » et s’in-