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moment que le gouvernement saxon avait ordonné de vider les célèbres « caveaux verts » (Gruenes Gewoelbe) et de transporter les diamans de la couronne et les autres trésors dans la forteresse de Kœnigstein[1]… Poursuivant ainsi avec succès sa tournée terrifiante, le général Manteuffel arrivait le 22 février à Vienne.

Les propositions que venait apporter l’aide-de-camp du roi de Prusse dans la capitale des Habsbourg étaient d’une nature aussi délicate que complexe. Dès l’origine, la cour de Vienne n’avait pas été trop charmée de la tournure que prenaient les affaires des duchés. À ce moment, elle était plus mal à l’aise que jamais. Ces pauvres petits états allemands, que le cabinet de Berlin irritait et exaspérait à plaisir, ils étaient cependant les seuls soutiens des Habsbourg dans la grande pairie ! Ils avaient voulu se porter au secours de Giulay et de Hess en 1859 ; ils avaient été prodigues d’enthousiasme pour l’empereur François-Joseph à la journée des princes à Francfort ; ils n’avaient pas demandé mieux aussi que de voir le petit-fils de Marie-Thérèse « se placer à la tête de l’élan national contre le Danemark. » Comment permettre l’abaissement d’alliés si dévoués ? comment surtout y contribuer de ses propres mains ? Et de même la politique générale de M. de Bismark convenait aussi peu à l’Autriche que sa politique allemande, car enfin où en voulait-il venir avec des audaces et des pétulances dont la chancellerie aulique n’était pas coutumière, et dont l’Europe pourrait bien à la longue se fatiguer ? Le but qu’on s’était proposé par la guerre sur l’Eider (si tant est que l’on se fût jamais proposé un but clair et défini), il était atteint, dépassé même depuis bien longtemps. Dès le 5 février 1864, les Danois ne possédaient plus dans tout le Slesvig que la position de Düppel-Alsen ; dès lors aussi le comte Rechberg avait accepté avec empressement la proposition d’un armistice, la perspective d’une bonne conférence. Le cabinet de Berlin avait péremptoirement rejeté tout cela, et, sans même en prévenir le ministre d’Autriche, il avait fait avancer (19 février) ses troupes jusqu’à Kolding, dans le Jutland ! Interpellé sur cette « invasion » par l’Angleterre, M. de Bismark avait répondu (lord Palmerston le racontait bientôt à la chambre des communes) « que l’occupation de Kolding avait été effectuée sans ordres et même contrairement à des instructions précises, mais qu’elle n’en serait pas moins continuée !… » Les périls d’une telle situation, le comte Rechberg était assez clairvoyant pour les mesurer, et la diplomatie anglaise ne manquait pas du reste de les faire ressortir avec beaucoup de dé-

  1. Voyez surtout les dépêches de lord Loftus du 24 février et de M. Murray du 2 mars.