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pût tenter quelque « coup » et la Suède de son côté « devenir un foyer d’intrigues, » ainsi que s’exprimait le vice-chancelier russe selon la dépêche confidentielle du comte de Thun. Pour atteindre ce but, M. de Bismark n’hésita pas, lui non plus, à faire un appel indirect au prince Czartoryski, et même à entamer avec lui, par un intermédiaire officieux, une négociation des plus piquantes, où le président du conseil de Prusse fit voir les inépuisables ressources d’une fantaisie aussi brillante que hasardeuse. Tantôt le ministre du roi Guillaume Ier demandait au prince de formuler lui-même des conditions raisonnables et indiquait « une amnistie générale et des concessions larges et sérieuses dont sa majesté le roi de Prusse se porterait garant sur l’honneur ; » tantôt il parlait des quelques palatinats limitrophes et « tranquillisés » qu’on pourrait laisser aux Polonais pour y faire « l’essai d’une administration nationale, » et pourvu qu’ils voulussent contribuer à la pacification immédiate. Dans d’autres momens, l’ingénieux ministre insinuait tout à coup que « ni les Russes ni les Polonais ne pouvaient bien administrer ce pays, » que des troupes prussiennes seraient les plus propres à y maintenir l’ordre « sans le bouleverser, » à « s’interposer entre l’insurrection et la répression, » et il parlait de M. de Mirbach, un ancien président de gouvernement dans le grand-duché de Posen, comme de l’homme le plus capable « d’organiser quelques provinces de ce côté de la Vistule. » Toutefois cette dernière combinaison, « la plus avantageuse pour les Polonais, » ajoutait le ministre, la Prusse ne saurait guère la proposer directement au cabinet de Saint-Pétersbourg ; c’était au prince Czartoryski « et à quelques notables du pays » d’en faire la demande auprès de l’empereur Alexandre !… Dans ces diverses suggestions, plus étranges les unes que les autres, le président du conseil de Prusse poursuivait-il seulement la prompte reddition d’un soulèvement qui ne laissait pas de l’inquiéter, ou bien y cherchait-il encore par-dessus le marché l’occasion « d’arrondir » la monarchie de Frédéric le Grand, de lui procurer « des frontières moins défavorables, » pour rappeler l’expression fameuse de cet homme d’état dans un comité de la chambre, — et reprenait-on ainsi avec le prince Czartoryski la célèbre conversation ébauchée, juste une année auparavant (février 1863), à un bal de la cour avec le vice-président M. Behrend[1] ? — Le prince Czartoryski ne jugea pas devoir mettre trop vite fin à un jeu qui, tout compte fait, ne pouvait qu’ajouter un « incident » de plus à tant d’autres ; mais, M. de Bismark devenant de plus en plus pressant et demandant une « démarche décisive avant le 8 mars » (le

  1. Voyez sur cette conversation la Revue du 15 septembre 1864.