Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il alla visiter le couvent de Saint-Saba, aux bords de la Mer-Morte. De Jérusalem à Nazareth par Samarie et Nablus, de Nazareth à Patmos par Beyrouth et Smyrne, de Patmos à Constantinople, voilà en trois lignes son itinéraire ; mais ce qui ne saurait se dire en trois lignes, ce sont les conquêtes de ce voyage triomphant. Des deux bibliothèques du Caire, l’une était fermée ou plutôt murée depuis longues années ; M. Tischendorf ouvrit ces catacombes, où étaient enfouies tant de reliques littéraires d’un prix inestimable. Que de pages précieuses dormaient également, inutiles et dédaignées, chez les moines coptes ou chez les cénobites géorgiens, dans les couvens de Jérusalem, au cloître du Sinaï, au monastère de Saint-Saba ! En pareil lieu, ce n’était pas assez de feuilleter, de transcrire, de prendre des fac-simile ; il fallait arracher ces documens à une atmosphère de mort et les transplanter sur le sol vivant de la critique. La moisson fut ample ; M. Tischendorf en a donné le détail dans ses Anecdota sacra et profana. Manuscrits du moyen âge, manuscrits des temps byzantins, manuscrits du IVe siècle, du grand siècle de l’église grecque, — aucune variété n’y manquait. C’était la pêche miraculeuse. Quelle joie de les classer, de leur donner des noms ! Celui-ci, le plus précieux, portera le nom du roi de Saxe : Codex Friderico-Augustanus. La bibliothèque de Leipzig s’enrichira d’une part de ces trouvailles. Il y aura là des matériaux pour toute une armée de critiques et d’exégètes. De même que l’histoire romaine, renouvelée par les découvertes épigraphiques, a ouvert aux Mommsen, aux Ritschl, aux Peters, aux Schwegler, un champ immense d’études et de discussions, de même ces manuscrits séculaires, par les rapports ou les différences qu’ils nous offrent, fournissent des problèmes inattendus à la théologie contentieuse. Or ces problèmes, une fois posés, exigent à leur tour de nouvelles recherches. M. Tischendorf, pour les résoudre, n’hésite pas à reprendre sa course. Le cycle à peine fermé venait de se rouvrir ; il le parcourt avec la même ardeur de l’Occident en Orient. En 1849 et dans les années suivantes, les bibliothèques de Paris, de Londres, d’Oxford, de Cambridge, de Saint-Gall, de Zurich, l’ont vu recommencer ses fouilles ; en 1853, il réveillait encore de leur engourdissement les moines de Jérusalem.

Le bruit que faisaient dans la ville sainte le nom et les travaux de M. Tischendorf attira bientôt l’attention de la Russie. Les Russes ont les yeux naturellement tournés vers Jérusalem ; leur défaite en Crimée ne les rendait pas indifférens, il s’en faut bien, à tout ce qui intéresse la Turquie d’Asie. L’année même où le traité de Paris, après la chute de Sébastopol, venait d’arrêter l’ambition moscovite et de consolider l’empire ottoman, c’est-à-dire au moment où les