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succès de leurs efforts : le cabinet de Copenhague avait en grande partie causé tout le mal par son obstination et son indocilité ! il n’avait fait ses concessions ni à cœur joie ni à temps ! C’est pourtant l’ambassadeur britannique, sir A. Paget lui-même, qui avait dit à M. Hall qu’il resterait dans tous les cas au gouvernement de Copenhague la consolation d’avoir agi selon le conseil de ses « meilleurs amis. » C’est aussi au sujet de ces récriminations pour le moins déplacées que M. Drouyn de Lhuys adressa au comte Moltke ces paroles déjà citées : « L’attitude que l’Angleterre prend relativement à vous est tristement curieuse ; elle vous accuse d’obstination et d’ingratitude… » Ingrats ou non, les Danois allaient succomber s’ils devaient cette fois encore lutter seuls, et les ministres eurent aussi à s’expliquer sous ce rapport. Ils le firent avec simplicité et franchise : ils déclarèrent catégoriquement qu’ils abandonneraient la monarchie de Christian IX à son sort. Dans un seul cas, celui où les Allemands seraient disposés « à prendre d’assaut Copenhague, à mettre la ville à sac et à faire le roi de Danemark prisonnier, » lord Palmerston réservait la possibilité de l’intervention de l’Angleterre. Encore, et pour illustrer complètement ces belles paroles, lord Russell eut-il la naïveté de raconter le même jour dans la chambre haute que le comte Apponyi lui avait donné l’assurance formelle que l’Autriche et la Prusse ne comptaient pas pousser leurs conquêtes sur le Danemark au-delà de la terre ferme ! il est vrai que le noble lord eut en même temps le soin d’ajouter que, quelque respect qu’il eût gardé jusqu’alors pour l’Autriche et pour la Prusse, il était maintenant convaincu qu’on ne pouvait plus désormais se fier à leurs déclarations ! Et certes ce dernier trait d’un grand gouvernement proclamant ainsi à la face du monde qu’il n’était plus possible de croire à la parole d’honneur de deux autres grands gouvernemens n’est pas un des moins saillans : il achève le tableau de l’anarchie morale où se trouvait alors l’Europe !

Une telle conduite et un tel programme ne purent cependant passer sans toute contradiction dans un pays libre. L’opposition se réunit en plusieurs conciliabules, et une motion fut déposée dans les deux chambres pour voter une adresse à la reine exprimant un blâme énergique contre le ministère. Les débats sur ce vote of censure s’ouvrirent dans les deux chambres le 2 juillet, et ils durèrent jusqu’au 9. Les orateurs les plus illustres et les hommes d’état les plus expérimentés prirent part à cette discussion ; mais c’est M. Disraeli surtout qui la sillonna des éclairs d’une éloquence marquée de la double empreinte des informations les plus sûres et des sarcasmes les plus mordans. Sur les bancs des ministres, la palme d’une apologie insinuante, adroitement menée et témérairement soutenue, appartient sans contredit au sous-secrétaire d’état M. Layard. Le