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cette immense clameur, de cette longue avenue d’échafauds, les écrivains et les lecteurs ont oublié les textes, les déclarations, les lois, les constitutions écrites, et ils ont conclu que ce chemin était fait pour aboutir au renversement complet de tous les principes connus dans les sociétés antérieures.

Deux sortes d’hommes ont été entraînés ainsi à substituer une image de bouleversement absolu à la réalité historique, les uns parce qu’ils découvraient dans cette idée un premier fondement à leurs visions, les autres parce qu’ils saisissaient dans ce chaos imaginaire un aliment et un prétexte de haine contre la révolution. Des deux côtés, on la jugeait sur ses passions plus que sur ses principes, tous y trouvant leur compte pour l’adorer ou la maudire. A force de concentrer ses regards sur les échafauds, on finissait par se convaincre qu’il s’agissait de l’anéantissement de la civilisation, ou bien, si l’on jetait les yeux sur quelques textes de lois ou de discours, on en tordait le sens jusqu’à ce qu’on en eût tiré le monstre désiré. C’est ainsi que l’on s’est fait une convention socialiste, une montagne communiste, et je trouve ces anachronismes non pas seulement, ce qui est compréhensible, Chez les écrivains français jetés dans la mêlée des partis, mais chez de graves historiens étrangers que l’éloignement aurait dû préserver de l’idolâtrie ou de la fureur de maudire.

Une circonstance a aidé à cette transformation de l’histoire. La montagne n’avait pas écrit de mémoires comme les autres partis. Elle est morte en emportant son secret. Soit que la postérité eût été trop dure pour elle et lui eût imposé l’oubli, soit qu’elle l’eût elle-même cherché, la montagne n’avait laissé aucun de ces écrits posthumes où un parti donne à la postérité le commentaire de ses actions. Point de confidences en dehors des actes publics, point de déclarations authentiques et pourtant intimes sur ses intentions, ses vues, ses promesses ; le silence de la tombe, et de là les hésitations de l’histoire, la facilité d’attribuer à la montagne toutes les vues que l’intérêt ou la haine peut suggérer aux descendans : un nouveau testament de César inconnu, dérobé à tous les yeux, dont on ne connaît ni le texte ni l’esprit, et auquel chaque génération peut ajouter un codicille avec toutes les chances que donnent l’espérance, l’imagination ou la crédulité.

Je n’ai point la prétention de fermer ici d’un trait de plume cet héritage ouvert. De telles énigmes ne se tranchent pas en un instant. Seulement je dois dire que la volonté d’un mort a mis entre mes mains ce qui manquait le plus à l’histoire, les mémoires ou le testament politique de l’un des hommes de la montagne resté le plus fidèle à son esprit, qui a joint aux témérités de ce temps-là une intelligence perçante, éloigné de toute déclamation, observa-