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De quel aveuglement faudrait-il être frappé pour ne pas reconnaître l’étonnante grandeur de ce moment ! C’est celui où s’inaugure la terreur. Tous les Français sont mis en réquisition pour courir aux armées. Valenciennes, Condé, Mayence, annoncent l’approche de l’ennemi. On le sent déjà qui a passé la frontière. Vous diriez que ce peuple n’a plus qu’un moment à vivre. Soudain tout se calme par enchantement. On s’arrête. Les plus furieux oublient leur frénésie. Et quel usage fait-on de cet instant de répit ? C’est pour recevoir le monument des lois civiles qui dompte les consciences comme autant de mathématiques morales. L’enceinte qui retentissait hier encore de cris, de malédictions, de prières, de sanglots repoussés, n’est plus que l’écho impassible du droit, comme le siège du préteur. Ce peuple qui n’a plus, ce semble, qu’un jour à vivre le passe à se donner les lois qui régissent aujourd’hui le monde : tables de la loi, rapportées véritablement au milieu des éclairs et des foudres. Si ce n’est pas là le sublime de l’histoire, où est-il ?

Pour achever le contraste, voulez-vous savoir qui préside la convention pendant que le modèle du code civil est donné à la France et à l’Europe ? Regardez, c’est Maximilien Robespierre ! Il est là, à la tête de la convention, son organe, son représentant, pendant que sont votées, dans le titre III, les conventions matrimoniales, les rapports entre les pères et les enfans, c’est-à-dire les principales dispositions qui règlent la société française. C’est Maximilien Robespierre qui met aux voix ces formules par lesquelles sont garanties chez nous pour tous les temps la propriété et la famille. Remarquez-vous avec quelle solennité Robespierre pose la question, comme elle est vite tranchée, comme tous se lèvent pour approuver, comme Robespierre proclame l’unanimité de la convention sur chacun de ces principes par lesquels notre existence et nos biens, et nos relations sociales, et notre vie, et notre mort, sont encore réglés, ordonnés, consacrés aujourd’hui ! Cambacérès propose, la montagne vote, Robespierre proclame. Notre code civil, se fonde, sans lutte, sans opposition, par une sorte de nécessité créatrice sous laquelle tous les fronts comme toutes les passions s’inclinent.

Comment donc arrivera-t-il un jour que la montagne, Robespierre, la convention en masse, passeront pour avoir voulu détruire cet ordre social qu’ils ont au contraire fait de leur vote ? C’est que l’oubli aura été jeté sur leurs œuvres. On attribuera à d’autres les fondemens qu’ils ont jetés. Par cet oubli systématique, une nation ne saura plus à qui elle doit le principe de son organisation sociale. Son histoire, dépouillée des faits les plus importans (et qu’y a-t-il de plus important qu’un code civil ?) ne contiendra plus que des