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Pensif, j’entraînais loin des crimes,
Des dieux, des rois, de la douleur.
Ce sombre cheval des abîmes
Vers le pré de l’idylle en fleur.

Je le tirais vers la prairie
Où l’aube, qui vient s’y poser.
Fait naître l’églogue attendrie
Entre le rire et le baiser.

C’est là que croît, dans la ravine
Où fuit Plaute, où Racan se plaît,
L’épigramme, cette aubépine.
Et ce trèfle, le triolet.

C’est là que l’abbé Chaulieu prêche,
Et que verdit sous les buissons
Toute cette herbe tendre et fraîche
Où Segrais cueille ses chansons.

Le cheval luttait; ses prunelles.
Comme le glaive et l’yatagan.
Brillaient. Il secouait ses ailes
Avec des souffles d’ouragan.

Il voulait retourner au gouffre;
Il reculait, prodigieux,
Ayant dans ses naseaux le soufre
Et l’âme du monde en ses yeux.

Il hennissait vers l’invisible,
Il appelait l’ombre au secours.
A ses appels, le ciel terrible
Remuait des tonnerres sourds.

Les bacchantes heurtaient leurs cistres.
Les sphinx ouvraient leurs yeux profonds;
On voyait, à leurs doigts sinistres.
S’allonger l’ongle des griffons.

Les constellations en flamme
Frissonnaient à son cri vivant.
Comme dans la main d’une femme
Une lampe se courbe au vent.