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du pessimisme jette les écrivains russes auxquels nous faisons allusion dans des erreurs économiques qui ne peuvent manquer de nuire à la noble cause qu’ils voudraient servir. Une des plus utiles opérations de la banque foncière doit être de procurer les ressources nécessaires pour mettre en valeur les immenses domaines de l’état. Amenant les ressources du crédit sur ces domaines, il est naturel que la banque y puise une garantie hypothécaire. C’est cette attribution d’hypothèque que combattent les opposans russes. Ils prétendent que le gouvernement n’a pas le droit de faire un pareil emploi de son domaine, lequel serait le gage inaliénable des billets de crédit qui servent à la circulation monétaire de la Russie. L’objection n’a en vérité aucun fondement économique. Que les Russes en soient convaincus : des terres ne peuvent être la garantie d’une circulation fiduciaire saine et solide. La vertu qu’ils attribuent au domaine comme garantie de leurs billets de crédit est une fiction ; c’est l’histoire de nos assignats révolutionnaires gagés par nos biens nationaux. Les prêts que la banque foncière fera sur des portions du domaine fourniront à l’état le moyen d’améliorer la condition de ces propriétés publiques, de les mettre en valeur, d’en obtenir par des aliénations avantageuses des ressources croissantes. Le domaine restera, si l’on veut, le gage de la circulation du papier ; mais, grâce à l’intervention de la banque, la valeur du gage aura augmenté, et les porteurs de billets, au lieu d’être lésés dans leurs intérêts, verront au contraire s’accroître, se fortifier et devenir plus facile à réaliser et plus disponible la garantie sur laquelle se fonde leur sécurité. Si, grâce à la banque foncière, l’état parvient à mobiliser une portion seulement d’un domaine dont la valeur s’estime par milliards, il y aura là de vastes capitaux disponibles qui pourront être employés à la construction des chemins de fer et à des travaux publics qui multiplieront la richesse de l’empire. La mise en valeur des ressources économiques de la Russie profitera au progrès de la civilisation nationale et à l’émancipation politique du pays. De tels avantages sont bien préférables à l’illusion d’une monnaie de papier reposant sur un gage inerte et stérile. Les opposans russes ont donc grand tort de compromettre par des argumens économiques rétrogrades et faux des aspirations politiques libérales auxquelles applaudit tout ce qu’il y a d’esprits élevés en Europe.

Les mystères de la curieuse conspiration des fenians continuent à se dévoiler devant les tribunaux d’instruction d’Irlande. Il y a dans cette conspiration des phénomènes bizarres de crédulité et de naïveté qui étonnent. Y a-t-il rien de plus singulier par exemple que l’existence d’une société politique organisée dans deux pays différens, qui est nécessairement une société secrète dans le pays où elle se propose d’agir révolutionnairement, tandis qu’elle est une société publique, réunissant des meetings, donnant des bals, recueillant des souscriptions populaires, dans le pays où elle amasse ses moyens d’action ? En Irlande, on se rencontre la nuit, on