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voit se dresser sur la côte un clocher, des tours gothiques, une masse imposante de pierre : c’est Otawa, cité de quinze mille âmes.et capitale future du Canada, — curieux mélange de sauvagerie extrême et d’extrême civilisation !

7 août

Connaissiez-vous le nom d’Otawa avant que je vous l’eusse appris ? Quant à moi, il m’était parfaitement ignoré. Aussi fus-je bien étonné d’apprendre que cette bourgade était la capitale désignée du Canada, et que le gouvernement venait s’y installer en octobre. C’est la reine pu plutôt son ministère qui l’a choisie, au grand chagrin de Québec, de Montréal, de Toronto et de toutes les anciennes villes. Le gouvernement a-t-il voulu, comme aux États-Unis, une capitale isolée, sans importance propre, qui fût à l’abri des révolutions populaires ? Je ne crois pas que le danger des barricades soit bien grand au Canada. On me dit que les Otawans, candidats en dernière ligne au choix de la reine, ont profité des disputes de leurs rivaux et joué le rôle du troisième larron. La ville n’existait pas il y a quinze ans. Il y a trente ans, l’emplacement où elle s’élève était à peine marqué de deux ou trois cabanes. Aujourd’hui elle compte plus de quinze mille âmes. Jetée au milieu du désert comme un avant-poste de la civilisation, elle n’a pas encore besoin de produire : il lui suffit, pour s’enrichir, d’exploiter ces immenses forêts de sapins qui couvrent la contrée, et dont elle tire chaque année des millions de pièces de bois pour la construction des navires. On n’exploite encore que les forêts voisines de la rivière, qui ont acquis déjà une valeur énorme. Peu à peu des voies de communication seront ouvertes, et le commerce des bois prendra des proportions plus vastes. Assise au bord de son beau fleuve, à l’endroit où des cataractes en interrompent le cours, Otawa est naturellement l’étape et le quartier-général de ce commerce. Son canal n’est encore qu’une pente douce où les radeaux flottent pièce à pièce. Quelques écluses en feraient un passage pour les gros navires. Enfin cette ville de bûcherons doit devenir à la longue la capitale d’un peuple agricole. Quand on jette les yeux sur la carte et qu’on aperçoit ces innombrables routes liquides vers le nord, vers l’ouest, vers le midi, ce passage naturel de la rivière Otawa au lac Huron par le lac Nipissing, qu’on rendrait si aisément navigable, on comprend qu’Otawa devienne un centre, et qu’elle espère un grand avenir.

Sa promotion au titre de capitale va l’accroître rapidement ; elle lui apportera d’un bloc une dizaine, de mille âmes. Les Otawans sont tout glorieux ; seuls, les fonctionnaires du gouvernement lèvent les épaules et sont désolés. On leur bâtit une cathédrale, trois grands