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davantage la postérité. Le grand reproche qu’on faisait aux chrétiens à l’époque des persécutions, c’était de se séparer du reste du monde. Aussi Tacite les déclare-t-il convaincus de haïr tout le genre humain. Aujourd’hui nous sommes surtout surpris de voir combien ils sont restés fidèles aux habitudes de leur temps. Il est certain qu’au moins en ce qui concerne la sépulture, ils se conformaient volontiers aux usages ordinaires. Leurs tombeaux ne différaient guère des autres. Si un païen eût visité les catacombes à l’époque où l’accès en était ouvert à tout le monde, je me figure qu’il ne se serait pas senti trop dépaysé. Par exemple, il aurait retrouvé dans le cimetière de Domitilla, et probablement dans les autres aussi, l’entrée habituelle du tombeau des grandes familles de Rome. Nous savons que d’ordinaire les chrétiens élevaient au-dessus de leurs catacombes de petits édifices en l’honneur de ceux qui y étaient ensevelis. Ces chapelles, qu’on appelait cellœ ou memoriœ marlyrum, ont eu depuis une glorieuse fortune. Agrandies après la victoire du christianisme, elles sont devenues les belles basiliques de l’époque de Constantin ; mais du début, quand elles étaient encore modestes, elles devaient ressembler beaucoup à ces salles que les païens construisaient à côté de leurs tombeaux et où ils célébraient leurs festins funèbres. Ces festins eux-mêmes n’étaient pas inconnus des premiers chrétiens. « Ils croyaient, eux aussi, nous dit Prudence, que les morts prenaient leur part du vin qu’on buvait près de leurs sépulcres, » et le repas du neuvième jour (cœna novemdialis), recommandé par les rituels païens, s’était conservé dans les agapes. A la vérité les chrétiens faisaient de leurs agapes un prétexte ingénieux de charité : les riches y conviaient les pauvres, et saint Augustin dit qu’on venait au secours des vivans tout en honorant les morts ; mais ce pieux usage était pratiqué aussi par les païens. Ce n’étaient pas ces pauvres corporations dont les associés payaient cinq as par mois qui pouvaient, sur leurs revenus, fournir aux dépenses d’un festin, si frugal qu’on le suppose. Les inscriptions nous prouvent qu’elles avaient toutes de riches protecteurs qui faisaient les frais du repas. A l’origine, je n’ai pas de peine à le croire, les agapes chrétiennes étaient célébrées avec plus de décence que les repas des adorateurs de Diane, et d’Antinoüs, et on n’avait pas besoin d’établir des amendes, pour empêcher les convives de s’injurier ; cependant elles finirent aussi par être l’occasion de beaucoup d’excès. Les pères de l’église se plaignent amèrement qu’on y boive sans retenue, et, comme leurs reproches ne corrigeaient pas les chrétiens de leur intempérance, les conciles furent obligés de les supprimer.

Si, dans la partie extérieure de leurs catacombes, dans les salles et les vestibules placés sous l’œil du public, les chrétiens se confor-