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qui a d’ailleurs duré bien des siècles. Il a naguère agi comme il agit encore, suivant des lois générales dont la permanence et l’inflexibilité ne sont que la conséquence de l’infinie sagesse et de l’infinie prévoyance qui les ont établies. Partout et toujours, Dieu s’est manifesté dans la nature par des règles qui peuvent être déterminées à l’avance, calculées, combinées, parce qu’elles ont entre elles un admirable enchaînement et qu’elles sont immuables dans des conditions identiques, à l’instar de l’intelligence suprême dont elles émanent. Quand la vie est apparue, quand les différentes formes végétales, animales, se sont succédé en se modifiant, l’intervention de Dieu n’était pas plus active ni plus absente qu’elle n’est actuellement, et si nous avions pu assister aux divers actes de la création, nous n’aurions rien vu que des phénomènes dont nous pouvons, grâce à la géologie, nous représenter quelques-uns en imagination.

La vérité de cette observation ressort de certaines recherches contemporaines. A l’aide de hautes températures et de puissantes pressions, en se soumettant à de certaines conditions laborieusement obtenues, on a réussi à refaire artificiellement des substances minérales, des pierres précieuses, des roches qu’on était d’abord enclin à regarder comme le produit des phénomènes mystérieux accomplis lors de la création. Des matières produites accidentellement dans les usines métallurgiques ont mis sur la voie des procédés à employer. C’est ce qu’on peut voir dans le beau mémoire de M. Daubrée sur le métamorphisme des roches. Les causes de production de ces matières avaient cessé à la surface du globe ; dès qu’elles ont été réunies artificiellement, les matières ont reparu. Seulement, comme on n’a pu opérer que sur une très petite échelle, on n’a produit qu’en une quantité très réduite ce que la température fort élevée de la terre a autrefois engendré en grandes masses.

Tout le problème consiste donc à ramener dans nos laboratoires les conditions primordiales et c’est là pour les êtres complexes, pour les êtres organisés, une chose des plus difficiles. Non-seulement ces conditions sont aussi nombreuses qu’instables et délicates, mais nous manquons de données pour les apprécier, l’observation nous fait défaut. Voilà pourquoi on ne saurait nourrir raisonnablement l’espérance de fabriquer des végétaux, même les plus simples, des germes d’animaux, infusoires ou radiaires. Quelque progrès que fasse la chimie organique, elle sera toujours arrêtée par l’impossibilité de donner naissance à la force vitale, dont elle ne dispose pas, comme elle le fait pour la chaleur, la lumière, l’électricité, force dont une fonction spéciale dans lez deux règnes organiques garde le dépôt. La force vitale s’est produite dans des conditions dont nous n’avons aujourd’hui aucune notion, aucune idée.


ALFRED MAURY.