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paré à ce rôle de reconstructeur d’un gouvernement. Le nom même des hommes d’ailleurs, leurs antécédens, leurs opinions, le talent de quelques-uns, tout était de nature à rehausser la signification de cette tentative. Dans ce ministère, il y avait cinq anciens présidens du conseil, ce qui dénotait tout au moins l’intention patriotique de subordonner toute considération vulgaire d’amour-propre à un intérêt public supérieur tels que M. Arrazola, M. Alcala Galiano, M. Seijas Lozano, le général Narvaez lui-même, le cabinet de septembre se rattachait au vieux parti modéré pur, il tendait aussi la main d’un autre côté aux fractions libérales par M. Gonzalez Bravo, qui depuis plusieurs années, notamment sous l’administration O’Donnell, s’était fait l’orateur véhément du libéralisme conservateur, par le ministre des affaires étrangères, M. Alejandro Llorente, esprit éclairé et habile qui n’entrait point assurément au pouvoir pour rétrograder et retomber dans les vieilles routines semi-absolutistes.

C’était, il faut le dire, un coup de fortune pour le parti modéré de se voir ainsi ramené au gouvernement sans violence, par le cours naturel des choses, dans des conditions qui étaient difficiles, il est vrai, mais où il pouvait aussi faire acte d’initiative, retrouver sa cohésion et son ascendant, s’il avait un instinct juste et ferme des circonstances, s’il était réellement à la hauteur du rôle qui s’offrait à lui. Personnellement le général Narvaez était un homme d’état favorisé : il trouvait l’occasion de se relever de l’échec de son médiocre ministère de 1857 ; il avait ce bonheur rare et singulier, après avoir préservé l’Espagne des contagions révolutionnaires en 1848, de revenir au pouvoir en 1864 pour la remettre dans le vrai chemin par un libéralisme intelligent pour exercer une action réparatrice, conciliante et pacificatrice. Ce que l’union libérale, en un mot, avait promis de faire et n’avait point fait, le parti modéré et le général Narvaez avaient à le réaliser dans des conditions différentes, sans esprit de coterie, sans l’embarras des souvenirs compromettans de sédition militaire. C’était là pour le moment la vraie, l’unique politique. L’instinct public la pressentait et la demandait : la force des choses l’imposait : elle se dégageait comme une nécessité impérieuse de la situation tout entière de la Péninsule.

Ce n’était point, je le sais bien, une de ces situations criantes où les éléments de combustion sont déjà en flammes et où il ne reste plus qu’à couper le feu en toute hâte ; c’était une de ces situations où les difficultés de toute sorte se sont accumulées, où le désordre et la confusion ont pénétré partout, dans la politique extérieure, dans la politique intérieure, même dans les affaires économiques et financières. Il faut se rendre compte de ces difficultés progressive-