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de pacification sans cesse interrompue. Ce n’était pas, à vrai dire, un ministère très nouveau, qui eût le prestige de l’inconnu. Si on n’eût pas vécu si vite depuis un an, si les crises ne s’étaient pas multipliées de façon à faire disparaître les griefs anciens sous les griefs nouveaux, on se serait souvenu sans doute que ce cabinet du 21 juin, principalement représenté par le général O’Donnell et par M. Posada Herrera, avait déjà existé pendant cinq ans, de 1858 à 1863, qu’il avait éludé les questions les plus pressantes pour se livrer à des entreprises comme celle de Saint-Domingue, que c’était lui qui avait le plus engagé les finances espagnoles, et qu’en fin de compte il était mort pour n’avoir rien fait, surtout dans le sens libéral. La vérité est que malgré tout, après le ministère du 16 septembre, le général O’Donnell semblait encore l’homme le mieux fait pour la situation. A qui aurait-on pu s’adresser ? Aux modérés de la résistance outrée et absolutiste ? C’était aller droit à une explosion inévitable le lendemain. — Aux progressistes ? On en a parlé, je le sais bien, et on parle encore d’une combinaison de ce genre comme d’une ressource héroïque. Malheureusement le parti progressiste, beaucoup moins redoutable par ses idées que par ses procédés, se met toujours dans des situations d’où il ne peut sortir qu’avec effraction : tant qu’il ne s’est pas fait un programme légal, fût-il le plus large, et qu’il ne s’est pas rallié avec un peu d’ensemble à ce programme, son avènement risque de devenir une révolution qu’il ne serait même pas très apte à gouverner. Le général O’Donnell restait donc le seul qui pût faire face aux complications du moment, à cette nécessité souveraine d’un gouvernement doué de bonne volonté libérale et de force conservatrice. Un cabinet de l’union libérale, il est vrai, a contre lui ce passé d’il y a trois ans qui se relève comme une ombre peu rassurante ; il a justement aussi pour lui, comme préservatif, le souvenir de ses propres fautes, de ses propres déceptions, le souvenir plus récent encore et plus vif de l’expérience du général Narvaez. Il sait pour l’avoir éprouvé, et pour avoir vu d’autres l’éprouver cruellement, ce qu’il en coûte de lever un drapeau de libéralisme sans être libéral, pour tomber dans l’impuissance ou les réactions, et de plus le général O’Donnell a eu cette fois la clairvoyance de fortifier un peu les élémens de son parti, de prendre dans diverses nuances des hommes dont quelques-uns ont même été ses adversaires : M. Manuel Bermudez de Castro, qui est ministre d’état, M. Canovas del Castillo, qui s’est fait depuis quelque temps une certaine importance dans le, parlement, M. Alonso Martinez, qui passe pour porter au ministère des finances un esprit sensé, ayant le goût de l’ordre et des réformes.

La politique du cabinet du 21 juin était d’ailleurs toute simple. Ce que le ministère Narvaez avait fait au 16 septembre 1864 en