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tout en rejetant le lien de dépendance vis-à-vis d’un pouvoir étranger.

Après avoir récité à genoux et en surplis les prières au fond du chœur, l’officiant reparaît dans sa chaire, mais couvert cette fois d’une longue robe noire, et il commence le sermon. Les prédicateurs anglais s’adressent plutôt à l’esprit et à la raison qu’au sentiment : peu de gestes, un sermon écrit, un haut enseignement des devoirs, tels sont les principaux traits d’une éloquence qui s’accorde bien avec le caractère sérieux de la nation. Quel effet moral exercent maintenant sur les consciences des rites si simples, une parole forte et ornée ? Je n’affirmerai point que tous en soient également frappés ; on cite l’exemple d’un petit débitant qui assistait tous les dimanches au service de la paroisse, et qui pourtant ne se faisait guère scrupule de tromper ses pratiques. Un jour qu’on lui reprochait sa mauvaise foi et qu’on lui rappelait un sermon du pasteur sur l’intégrité des transactions commerciales, « il est bon, répondit-il, de croire ces choses-là un jour par semaine, d’autant plus qu’on a six autres jours, pour les oublier et pour agir tout différemment. » Il est pourtant certain qu’au milieu des campagnes l’église protestante, avec très peu de cérémonies et à l’aide de sévères leçons, grave dans le cœur des populations agricoles un idéal religieux qui ne s’efface point aisément au frottement des intérêts de la vie matérielle.

Les réformés anglais ne reconnaissent que deux sacremens, le baptême et l’eucharistie[1]. Les autres ont été abolis ou convertis en simples cérémonies religieuses. Le confessional est au nombre des choses détruites et inspire encore dans les campagnes une certaine horreur puritaine. Ici c’est à chacun de se juger et de s’éprouver lui-même dans tous les actes de la vie. L’homme, n’étant plus confessé, absous, ni justifié par l’homme, se trouve ainsi obligé de se faire par ses propres lumières une conscience, un système de responsabilité morale. À ce point de vue du moins, le protestantisme est une religion virile qui consacre dans la pratique la souveraineté

  1. Le baptême ne s’administre guère aux enfans protestans que trois semaines ou un mois, après la naissance : l’hygiène publique a reconnu l’inconvénient de les exposer trop tôt au grand air, et certains faits, suivis de conséquences mortelles, ont soulevé tout dernièrement l’indignation de nos voisins contre les usages bien différens de l’église romaine. L’eucharistie se distribue dans les temples le premier dimanche du mois ou à quelques grandes fêtes. Tous les fidèles communient sous les deux espèces, car la revendication de la coupe par les laïques a été en Angleterre aussi bien qu’en Allemagne un des griefs de la réforme religieuse contre les privilèges sacerdotaux de l’ancien culte. Les théologiens anglais ne croient point à la transsubstantiation : pour eux, le pain reste du pain et le vin reste du vin entre les mains du prêtre ; mais ils croient participer néanmoins dans un sens spirituel à la chair et au sang de Jésus-Christ.